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qui, par une inadvertance des éditeurs, porte la date du 23 janvier 1809, et qui doit être reportée au 23 janvier 1810, elle s’exprimait ainsi : « Depuis le divorce de Napoléon, j’ouvre chaque Gazette de Francfort dans l’idée d’y trouver la nomination de la nouvelle épouse, et j’avoue que ce retard me cause des inquiétudes involontaires. Je remets mon sort entre les mains de la divine Providence ; elle seule sait ce qui peut nous rendre heureux. » A la même date, elle écrivait à Mlle de Poutet : « Je sais que l’on me marie déjà à Vienne avec le grand Napoléon ; j’espère que cela en restera au discours, et je vous suis bien obligée, chère Victoire, pour votre beau souhait à ce sujet. Je forme des contre-vœux pour qu’il ne s’exécute pas. » Dans cette même lettre, elle raconte à son amie qu’elle s’amuse à composer des valses. Singulière façon de se préparer à un acte héroïque !

Elle se fit bien vite à son nouveau sort. Peu de temps après son mariage, elle écrit à sa chère Victoire, fiancée au comte de Crenneville, qu’elle lui souhaite de goûter un bonheur égal au sien ; elle lui vante la facilité d’humeur, l’obligeance, la grâce de l’empereur ; elle déclare que ses meilleurs momens sont ceux qu’elle passe tête à tête avec lui. Après la naissance du roi de Rome, elle demande au ciel qu’un jour cet enfant, comme son père, fasse le bonheur de tous ceux qui l’approcheront et le connaîtront. Elle n’éprouve qu’un chagrin, les absences de son mari la désolent : « Je ne puis être heureuse qu’auprès de lui… Que Dieu vous préserve à jamais d’une telle séparation, elle est trop cruelle pour un cœur aimant, et, si elle dure longtemps, je n’y résisterai pas ! » Elle a ressenti, en lui faisant ses adieux, « un chagrin bien plus violent que celui qu’elle avait éprouvé en quittant sa famille, » Un jour passé sans avoir de lettres suffit pour la mettre au désespoir, et quand elle en reçoit une, cela ne la soulage que pour quelques heures. Au chagrin des séparations se joignaient peut-être de sombres pressentimens. Cette archiduchesse très positive, mariée au plus romantique des césars, avait l’esprit court, mais juste, et le petit bon sens a quelquefois de meilleurs yeux que le génie. Elle eût été parfaitement heureuse si ce césar avait su se tenir en repos, si on lui avait appris, comme aux enfans bien élevés, à rester assis sur une chaise sans bouger. Les fougues de cette imagination indomptable et bondissante faisaient peur à cette femme tranquille. Elle pensait sans doute qu’il y a des hommes qui, à force de concevoir, d’entreprendre et de courir, lassent la fortune et fatiguent la victoire ; ardens à leur perte, on dirait qu’ils craignent de manquer le rendez-vous que leur a donné le malheur.

Dans les premiers jours d’avril 1814, Marie-Louise paraissait fermement décidée à partager le sort de Napoléon, à partir avec lui pour l’île d’Elbe. Jamais elle n’avait tant pleuré, et dans son désespoir elle regrettait de ne s’être pas faite chanoinesse. M. d’Haussonville a