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lourdes et froides, et le lac dort. Elle aura toujours la larme facile. Elle pleure à propos de tout, elle pleure en revoyant son père, elle pleure en lisant les lettres que l’empereur Joseph écrivit la veille de sa mort. Elle pleurera abondamment en 1810 quand on l’empêchera d’emporter aux Tuileries un petit chien qu’elle aimait, elle pleurera de joie en le retrouvant. Elle pleurera les jours où l’empereur Napoléon s’avisera d’écrire à Joséphine. En 1816, ses paupières se changeront en fontaines ; plus tard, elle s’attendrira souvent en parlant de son fils, quoiqu’elle eût pris sans peine son parti de ne plus le voir. Qu’on lui fasse un récit touchant ou qu’elle éprouve quelque contrariété, la duchesse de Parme deviendra rêveuse et ses yeux se mouilleront. Mais jamais pleurs plus abondans ne furent plus vite sêchés ; le soleil n’attendait pas pour reparaître que l’averse eût cessé, il éclairait et buvait cette pluie. Au don des larmes, Marie-Louise joignait le talent de se distraire et l’art de se consoler. Le 15 novembre 1805, l’empereur François congédia brusquement la comtesse Colloredo, cette gouvernante qu’elle adorait. Elle écrit à son amie Victoire : « J’entends avec déplaisir que tu es changée… J’y reconnais ton bon cœur… Crois-moi, tout ce que Dieu fait est pour notre bien. » Elle perd son frère Joseph ; elle se console en pensant que, s’il avait vécu, il aurait beaucoup souffert, qu’il est heureux, qu’il a retrouvé dans le ciel leur chère maman : « Pour nous, nous jouissons de la meilleure santé. Nous profitons bien du beau temps pour parcourir les belles promenades et forêts de Baden. »

Heureuses les femmes qui ont à la fois l’esprit très positif et le cœur très léger ! Quoi qu’il arrive, elles se tireront d’affaire. Ce qui intéressait le plus Marie-Louise dans les choses de ce monde, c’était le détail, et comme les événemens les plus pathétiques sent souvent accompagnés d’incidens agréables ou plaisans, les arbres l’empêchaient de voir la forêt. Durant cette terrible et sanglante guerre de 1809, où Napoléon trouva à qui parler et douta pendant quelques heures de sa fortune, elle s’intéresse assurément au sort des batailles, aux destinées de son pays et de sa maison. Elle avait dix-sept ans, et elle s’étonnait de l’insensibilité de sa sœur cadette, la future impératrice du Brésil : « Je vous assure que j’envie à ma sœur Léopoldine le peu d’effet que lui font nos malheurs ; elle en vivra d’autant plus longtemps. Elle s’amuse à élever un Wiedehopf (une huppe) ; il est superbe et très apprivoisé ; elle le porte au jardin, où hier il était au moment d’être croqué par un chat. » Mais elle-même, quoique les hasards de la guerre, comme en 1805, aient brisé sa famille en trois morceaux, quoiqu’elle ait quitté son cher Vienne pour se réfugier en Hongrie avec sa jeune belle-mère, l’impératrice Marie-Louise-Béatrix d’Esté, tout la distrait, tout l’amuse, et après s’être lamentée sur le sang qui coule, sur les hôpitaux pleins de blessés et de mourans, elle passe de