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coïncidant avec les facilités du transport, maintiendra une baisse de prix contre laquelle la vieille Europe aura grand’peine à lutter. La résultante sera un correctif à l’exagération du prix vénal des terres ; les populations pauvres mangeront du pain blanc ; il y aura là plus qu’un incident économique, ce sera un fait social destiné à faire date dans l’évolution de l’humanité.

La résistance du bimétallisme à une innovation qui s’impose s’explique aisément. De puissans intérêts sont engagés dans cette lutte : il y a celui des possesseurs de mines, qui fournissent la matière première du métal argent ; il y a la légion des financiers, qui ont pour spécialité d’épier les moindres mouvemens des monnaies et de spéculer sur les oscillations accidentelles de leur valeur relative : à la suite, la routine fait arrière-garde. Mais enfin que propose-t-on pour remédier à des inconvéniens sur lesquels il n’est pas possible de s’aveugler ? Je laisse de côté des conceptions étranges qui ne méritent pas l’examen, comme l’idée d’élever le poids des pièces d’argent pour les rapprocher de leur valeur métallique ; de réduire dans une mesure déterminée le travail des mines ; d’adopter une circulation spéciale pour des groupes de pays voués au bimétallisme, ayant pour centre la France en Europe, les États-Unis pour les Amériques. Une seule proposition reste à l’ordre du jour, parce qu’elle émane d’un esprit éminent à plus d’un titre, qu’elle a trouvé des cliens dans le monde financier et a même été patronnée par des gouvernemens : c’est l’utopie du 15 1/2 universel.

Posant en principe que les états ont le droit et le pouvoir de fixer la valeur effective des monnaies, on suppose que toutes les nations, même celles qui ont admis l’étalon d’or, consentiront à décréter qu’un poids d’or aura pour équivalent, toujours et partout, quinze fois et demi son poids en argent. Dans ces conditions, les deux métaux ayant une égale force libératoire pourraient circuler d’un pays dans l’autre, et les ateliers monétaires du monde entier seraient ouverts sans danger à la frappe libre et illimitée de l’argent. Voilà tout le système. Autant vaudrait solliciter un arrangement international pour fixer d’une manière universelle le prix du blé ou la valeur relative du cuivre au fer. Les deux métaux précieux, étant des produits du travail humain, sont marchandises, et il n’y a pas de force au monde qui puisse empêcher qu’une marchandise surabondante, répandue et offerte au-delà des besoins, ne perde de son prix. Si l’argent déprécié dans un pays peut entrer à plein pouvoir dans un autre pays, celui-ci sera dupe et victime.

Espère-t-on d’ailleurs déterminer l’Angleterre et les autres pays qui ont inauguré plus récemment l’étalon d’or à bouleverser leur circulation nationale pour donner satisfaction à certains intérêts