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prétend découvrir et révéler les causes générales des choses, tandis que la philosophie positive, au contraire, écarte toute notion de cause pour ne s’occuper que des lois. Comment passer du premier point de vue au second ? C’est le problème qui a rendu nécessaire l’intervention de la métaphysique. Celle-ci considère chaque classe de phénomènes comme directement produite par une force ou qualité abstraite correspondante. Ainsi, la métaphysique remplace les agens surnaturels (dieux, anges, démons, esprits) par des entités abstraites, qui d’abord ont été considérées comme des émanations de la puissance souveraine, puis se sont spécialisées et subtilisées au point de n’être que les noms abstraits des phénomènes, et enfin se sont confondues les unes dans les autres, et sont venues se perdre dans une seule et dernière entité, la nature, qui est le dernier mot de la métaphysique, comme le Dieu unique est le dernier mot de la théologie.

On voit à quel rôle étroit et négatif Auguste Comte réduit la métaphysique, même dans le passé, tandis qu’il assignait encore un rôle si élevé à la théologie. Pour lui, la métaphysique se réduit à la théorie des qualités occultes et des formes substantielles, et il a l’air d’ignorer absolument que c’est contre cette théorie que toute la métaphysique cartésienne a été fondée. Il est bien fort de réduire toute la métaphysique, même celle de Descartes et de Kant, à la virtus dormitiva de Molière ; et une science qui n’aurait pas eu d’autre portée eût été bien inutile, même à titre d’intermédiaire. Si Auguste Comte avait eu le sentiment juste et impartial de la métaphysique, comme il avait, à un certain degré, celui de la théologie, il eût pu, même sans sortir de son point de vue positiviste, trouver en faveur de la métaphysique, de son rôle historique et de son utilité relative, des considérations plus sérieuses et plus fortes. Par exemple, la psychologie subjective, que Comte range dans la métaphysique, n’était-elle pas un stade nécessaire, quand même on admettrait qu’elle dût être un jour absorbée par la physiologie ? En effet, avant d’expliquer les phénomènes par leurs causes organiques (en supposant que cela fût possible), toujours est-il qu’il fallait auparavant connaître les phénomènes et les décrire : une géographie de l’âme ne devait-elle pas précéder la physique de l’âme ? En second lieu, Comte dit très bien lui-même que l’empirisme absolu est impossible ; et que l’esprit humain n’aurait jamais en assez de patience pour se livrer à l’observation des faits, s’il n’eût été guidé et soutenu par les hypothèses de la théologie. Ce qui est vrai des hypothèses théologiques ne l’est-il pas autant des hypothèses métaphysiques ? Mécanisme, dynamisme, monisme, atomisme, panthéisme, vitalisme, animisme, autant de conceptions