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science. Il ne s’agit plus que de trouver le terme moyen : la métaphysique. Déjà on le rencontre, sinon dégagé, du moins nommé dans l’Organisateur. Mais si nous consultons un nouveau document, un nouvel ouvrage, le Système industriel, publié en 1822, nous trouverons, dans la préface remarquable de cet ouvrage, le terme qui nous manque. Pour passer du premier système, féodal et religieux, au dernier, industriel et scientifique, il a fallu un régime intermédiaire qui servit à dissoudre le premier, à préparer le second. Ce système a dû avoir aussi son pouvoir temporel et son pouvoir spirituel. Ce sont, d’une part, les légistes et, de l’autre, les métaphysiciens. Ils ont eu pour fonction, les premiers de dissoudre le régime féodal, les seconds de dissoudre le système catholique. Leur triomphe a été la révolution ; mais aujourd’hui leur rôle est achevé : ils sont devenus dangereux.

Laissant encore cette fois de côté les légistes et l’histoire du pouvoir politique, il nous reste les métaphysiciens, comme passage entre les théologiens et les savans. Voilà donc nos trois termes et la doctrine des trois états déjà complètement constituée dans Saint-Simon lui-même, avant toute émancipation de la part d’Auguste Comte. Quelle a pu être la part de collaboration de celui-ci, soit dans la publication de l’Organisateur, soit dans la préface du Système industriel ? Nous ne pouvons le savoir. Lui-même n’a réclamé sa part d’indépendance qu’à partir de l’année suivante, lors de la publication du Système de politique positive (1823). On peut donc admettre historiquement que tout ce qui précède vient de Saint-Simon, ou, si l’on veut, d’une élaboration commune, mais non pas de Comte lui seul. Il restera toujours une part à son maître ; et l’on ne peut accorder, quoi qu’H en dise, que ce commerce n’ait été pour le disciple qu’un malheur sans compensation. Nous arrivons maintenant au moment où les deux personnalités se choquent et se séparent, où celui-ci affirme et réclame sa personnalité. Du point d’attache nous passons au point de rupture, et ce sera alors Auguste Comte lui seul, dans la plénitude et l’indépendance de la pensée, qui paraîtra devant nous.


III

La rupture d’Auguste Comte avec Saint-Simon eut lieu à l’occasion du premier écrit de notre philosophe. Cette affaire est assez embrouillée ; et même, après les explications détaillées données par Littré, on n’en saisit pas encore très bien toutes les péripéties. Qu’il nous suffise de dire que ce premier écrit fut d’abord publié en 1822,