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des excès de la logique, chez les politiques amis des compromis, chez les jolies femmes amies des plaisirs mondains et des spectacles profanes, chez les disputeurs retors aptes à trouver des matières de doutes dans des questions où il n’en trouvait aucune. Où ne rencontrait-on pas les multiples incarnations de ce tout-puissant auxiliaire de la Searlet woman : à la cour, au conseil, dans le camp, dans l’église même. Oui, dans l’église, car si, au moyen âge, on l’avait vu maintes fois sous le capuchon du moine, on le surprenait maintenant sous la robe de quelque ministre presbytérien trop faible pour sa progéniture, à l’instar du grand-prêtre Héli, ou de quelque prêcheur anabaptiste frauduleusement infidèle à sa mission divine, à l’instar de Balaam, pour ne rien dire des ministres de l’église anglicane, car il va de soi que la plupart, depuis l’archevêque de Cantorbéry jusqu’au plus humble ministre de paroisse, s’ils n’étaient pas le diable lui-même, étaient au moins ses suppôts, ses affidés et ses amis. Comme nos terroristes, les puritains allaient agrandissant sans cesse leurs listes de suspects, et comme leur domination fut autrement longue que celle de nos terroristes et que leur influence fut autrement puissante sur la société générale, il n’est pas douteux qu’ils ne leur aient été aussi supérieurs par l’étendue de la sévérité que par la solidité des principes. La preuve en est dans l’héroïsme à faire frémir qu’ils déployèrent contre Satan sous la forme de procès de sorcellerie, de bûchers d’hérétiques, de cruelles fustigations de quakers, d’exils iniques, d’infâmes piloris, partout où ils furent les maîtres, en Écosse, par exemple, et surtout en Amérique, dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre, ainsi qu’en témoignent les livres des deux Mather, Increase et Cotton. La preuve en est encore dans le chiffre effroyable de victimes que l’accusation de sorcellerie fit pour la seule Angleterre durant le cours du XVIIe siècle, chiffre dont une bonne part leur revient incontestablement, quarante mille selon des écrivains qu’on a tout lieu de croire exactement informés[1]. Dans un livre écrit soixante et dix ans après la grande ferveur, l’Histoire du diable, de Daniel de Foë, on peut voir ce qui restait encore à cette époque de cet effrayant esprit de visionnaire dangereux et d’inquisiteur laïque. Nous recommandons tout particulièrement aux curieux un certain chapitre ou un pieux dénicheur de diables démontre à une dame de la condition la plus élevée qu’elle peut bien se donner pour une femme à d’autres que lui, mais qu’il sait bien, et qu’elle sait comme lui, qu’elle est une apparition (c’est-à-dire Satan sous une forme qu’il emprunte), et pousse

  1. Ce chiffre résulte des calculs auxquels s’est livré un écrivain anglais contemporain, M. Macksy, dans un curieux livre intitulé : Extraordinary popular delutions ;