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conversation. » Il met en doute et tient en défiance le témoignage d’Auguste Comte lui-même, et celui de Mme Comte. Le premier avait dit que sa rencontre avec Saint-Simon avait été pour lui « un malheur sans compensation. » Mme Comte, de son côté, malgré ses griefs personnels contre son mari, racontait qu’elle l’avait vu souvent en conversation et en discussion avec Saint-Simon, et que, dans ces conversations, elle ne pouvait s’empêcher de croire que « c’était Comte qui était le maître et Saint-Simon le disciple. » M. Littré répond que cela a bien pu être vrai à la fin des rapports de ces deux hommes, que le rôle de l’un et de l’autre a pu être interverti à mesure que le second prenait de plus en plus conscience de sa personnalité ; mais l’on ne peut rien conclure de là contre l’influence première. Par la même raison, Auguste Comte a pu s’exagérer les torts de Saint-Simon à son égard et juger le passé par les préventions de la dernière heure. « Ce qui est certain, dit Littré, c’est que pendant deux ans au moins, de 1818 à 1820, Auguste Comte a été l’élève de Saint-Simon et qu’il a subi son action. Il est entré auprès de lui avec les idées critiques et révolutionnaires du XVIIIe siècle ; il s’en est séparé en possession de la conception positive ; mais, entre ces deux phases, il a dû traverser une phase intermédiaire qui a servi de passage de l’une à l’autre. » C’est Saint-Simon qui a déterminé ce passage. « C’est avec lui, dit Littré, qu’il fit l’apprentissage des idées organiques qui commençaient à travailler la France et l’Europe. » On sait, en effet, que la nouveauté et la pensée mère de Saint-Simon ont été que le moment était venu de substituer à la phase critique, anarchique, négative, destructive qui caractérise et la philosophie du XVIIIe siècle et la révolution française, une phase constructive, dogmatique, organique, selon l’expression de l’école. La première publication capitale de Saint-Simon est intitulée : l’Organisateur, et déjà, dans tous ses écrits, il préconisait les idées d’organisation. A la vérité, on pourrait se demander, si même dans ces vues générales, qui dominent tout le saint-simonisme, il n’y a pas déjà une part qui dénoterait l’influence d’Auguste Comte ; car la publication de l’Organisateur est de 1819-1820, et Comte était déjà près de Saint-Simon dès 1818. — Or, de même qu’en 1816 et 1817, on peut soupçonner que les vues historiques de Saint-Simon (par exemple, l’importance donnée à l’affranchissement des communes) reviennent à son secrétaire d’alors, Augustin Thierry, qui s’intitulait lui-même son fils adoptif, de même on pourrait croire que l’opposition des idées critiques et des idées organiques et la haute importance donnée au principe d’organisation révéleraient l’action d’Auguste Comte. Saint-Simon n’aurait donc en d’autre mérite que d’avoir en deux secrétaires, d’esprit supérieur, et de s’être assimilé leurs idées. Mais ce serait là une hypothèse bien raffinée et