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immédiate, et qui a eu sur lui le plus d’action : je veux dire l’influence de Saint-Simon.


II

On est étonné, au premier abord, que le positivisme soit sorti du saint-simonisme, car il semble que ce soient deux conceptions bien différentes et même contradictoires. Le saint-simonisme a laissé le souvenir d’une conception idéale et mystique, d’une œuvre d’imagination et essentiellement chimérique ; le positivisme, au contraire, comme son nom même l’indique, a pour caractère de s’appuyer sur le concret, le réel, le positif. En second lieu, le saint-simonisme a été une entreprise d’organisation sociale ; le positivisme, une œuvre d’organisation scientifique. L’une est une utopie sociale, l’autre une philosophie spéculative. Voilà bien des différences, et elles sont incontestables. Cependant, il n’est pas moins certain que le positivisme est issu du saint-simonisme. Pour ce qui est du premier point, l’opposition signalée est réelle ; mais c’est précisément sur ce point qu’a eu lieu la rupture entre les deux écoles ; et, d’ailleurs, dans sa seconde période, le positivisme a fini précisément comme le saint-simonisme par une phase mystique et religieuse. Quant au second point, on se trompe quand on ne voit dans le positivisme qu’une conception théorique et purement scientifique : c’était avant tout une conception sociale. Le principal objet d’Auguste Comte a été de créer une science sociale. Son premier écrit, dont nous parlerons tout à l’heure avec quelque détail, est intitulé : Système de politique positive. Il a repris plus tard ce titre et l’a appliqué à son second grand ouvrage en quatre volumes, qui contient sa dernière philosophie. Même dans le Cours de philosophie positive, qui est son véritable monument, les trois derniers volumes portent sur ce qu’il appelle la physique sociale, la science sociale. La science sociale occupe donc à peu près les trois quarts de la philosophie totale d’Auguste Comte ; le reste n’est guère que l’introduction de la physique sociale. On voit le lien étroit qui unit sur ce point Auguste Comte et Saint-Simon. Cependant, ici encore, il faut signaler une différence dans la ressemblance même. Saint-Simon et ses disciples poursuivaient un but pratique : ils prétendaient procéder immédiatement à une réforme sociale ; ils apportaient un plan de société. Auguste Comte, au contraire, ne se proposait pas d’abord un but immédiatement pratique ; ce qu’il voulait, c’est que la politique devint une science soumise aux mêmes conditions que les autres sciences. Son but était donc essentiellement et éminemment scientifique. Il se moquait des panacées sociales ; il