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monde sait que le maître immédiat d’Auguste Comte, celui dont il a reçu la première influence (dans quelle mesure et dans quelles limites, c’est ce que nous aurons plus tard à déterminer), a été le célèbre Saint-Simon. En effet, le premier écrit d’Auguste Comte est signé de son nom, avec cette addition qu’il a plus tard effacée de tous les exemplaires[1], mais qu’il avait laissé imprimer : Élève de Henri de Saint-Simon. Maintenant, nous savons peu de chose de l’éducation scientifique de Saint-Simon, qui a dû être assez superficielle ; mais lui-même, dans un fragment biographique écrit de sa main, nous dit que sa première éducation avait été dirigée par d’Alembert, « éducation, ajoute-t-il, qui m’avait tissé un filet métaphysique si serré qu’aucun fait important ne pouvait passer à travers. » Que faut-il entendre par cette éducation dirigée par d’Alembert ? Faut-il croire que d’Alembert aurait été le précepteur, le gouverneur, ou même le répétiteur de Saint-Simon ? C’est ce qu’on admettra malaisément étant donnés l’âge et la situation de d’Alembert lors de la jeunesse de Saint-Simon. Il est probable que ce fut plutôt une influence, un commerce intellectuel, quelques conseils donnés de loin en loin ; mais quel qu’ait été le mode d’influence exercée par d’Alembert sur Saint-Simon, ce qui est certain, c’est qu’il y a eu communication entre eux, et que Saint-Simon lui-même rattache à d’Alembert l’idée de tous les travaux scientifiques qu’il a accomplis. La valeur propre de ses travaux n’a pas ici une grande importance. Ce que nous avons à y constater, c’est le passage de d’Alembert à Auguste Comte. Or, ce qui se manifeste évidemment dans les travaux ou essais de travaux, dans les prospectus, les plans d’ouvrage, toujours plus ou moins mêlés de charlatanisme, de Saint-Simon, c’est l’idée de l’unité et de l’organisation des sciences : ce qui paraît avoir exercé le plus de prestige sur son-imagination et sur celle de ses disciples, c’est la grande œuvre du XVIIIe siècle, dont d’Alembert a été avec Diderot le chef, l’organisateur, le collaborateur : c’est l’Encyclopédie. Nous voyons, en effet, Saint-Simon, en 1810, publier un prospectus sous ce titre : Nouvelle encyclopédie, première livraison servant de programme. Il avait écrit un manuscrit, probablement perdu, sous ce titre : Mémoire sur l’Encyclopédie. Son plus grand ouvrage sur ces matières : Introduction aux travaux scientifiques du XIXe siècle (1807-1808), n’est qu’une sorte de préface à cette œuvre, analogue à la préface de d’Alembert à la grande Encyclopédie.

Cette idée d’une encyclopédie a toujours hanté l’imagination des

  1. Nous avons nous-même entre les mains un exemplaire offert par Auguste Comte au docteur Esquirol, et où la suscription indiquée est soigneusement barrée, mais encore très lisible.