Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, lorsqu’on le redresse d’un côté, retombe aussitôt de l’autre. Au moment même où la puissance toute nouvelle de l’érudition se flattait de souffler sur les erreurs séculaires, l’enthousiasme de l’antiquité ouvrait à la crédulité des voies tout à fait inattendues. Tout ce qui venait de l’antiquité fut accepté comme chose sacrée. Il fallait bien croire à la divination, puisque Cicéron paraissait y avoir cru ; il fallait bien croire aux révélations et avertissemens des songes, puisque les historiens de l’antiquité en sont remplis ; il fallait bien croire aux génies familiers, puisque Socrate en avait eu un ; il fallait bien croire aux communications avec le monde invisible, puisque Platon et Plotin en avaient donné les lois ; il fallait bien croire à la nécromancie, puisque Porphyre et Jamblique l’avaient pratiquée. C’était le magister dixit du moyen âge qui continuait sous l’invocation d’autres patrons. Les récentes doctrines de géologie nous ont appris que les changemens de notre planète se sont opérés par voies insensibles plutôt que par cataclysmes ; les récens historiens de nos origines modernes nous ont appris que l’invasion barbare se fit par infiltrations lentes et continues plutôt que par déluge soudain, et il serait vraiment temps que la critique renonçât à présenter la renaissance comme cette parfaite antithèse du moyen âge que beaucoup s’obstinent à y découvrir. Loin de détruire les superstitions du moyen âge, la renaissance, au contraire, leur prêta main-forte et les justifia par les témoignages de l’antiquité et l’autorité de ses grands écrivains. Le merveilleux chrétien vieillissant mis en pièces et plongé dans la cuve en fermentation de la renaissance en sortit rajeuni comme Eson du chaudron de Médée, et réciproquement par ce contact avec le moyen âge le merveilleux de l’antiquité se trouva christianisé, a Les bons et les mauvais anges nous viennent de plus loin que notre religion, disait sir Thomas Browne, car ils nous viennent de Platon ; » à quoi il ajoutait implicitement: « et il n’y a aucune raison de douter des allégations de Platon, puisqu’elles nous sont confirmées par le christianisme. » Comme exemple de merveilleux antique christianisé, voyez la fortune singulière que l’érudition fit aux oracles de compte à demi avec la théologie. Qui donc, en lisant les historiens de l’antiquité, n’a été frappé du nombre prodigieux d’oracles dont les événemens se chargent de justifier les avertissemens amicaux ou les équivoques perfides? C’est, disait la renaissance (après le moyen âge, qui a émis exactement la même opinion, mais sans le même luxe d’érudition), que ces oracles étaient les voix des démons qui dominaient l’ancien monde et y avaient pris le titre de dieux sous lequel ils se faisaient adorer. Cette opinion se prolongea si tard et fut si généralement acceptée qu’un des premiers en date des livres de notre XVIIIe siècle, l’Histoire des oracles de Fontenelle, fut écrit tout spécialement pour la réfuter, et