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une gêne très étroite; et que même, s’il faut en croire Anthony Wood, il en fut réduit à vivre, comme on dit vulgairement, aux crochets de diverses personnes de sa famille et de son intimité. « C’était un esprit sans ressources, une tête à lubies, toujours dans la lune, et s’il n’était pas fou, il ne s’en fallait guère, » dit ce même Anthony Wood; et il faut convenir que, si ce signalement est assez peu amical, il est en assez parfait accord avec le caractère que fait supposer le résumé biographique qu’Aubrey a tracé lui-même.

Le même guignon le poursuivit dans la vie intellectuelle. L’étude des antiquités anglaises avait été mise en faveur au XVIIe siècle par plusieurs hommes éminens, notamment par Camden et sir William Dugdale, qui, au moment même où la vieille Angleterre allait disparaître sans retour, s’étaient consacrés avec zèle, avec piété, avec tendresse, à en conserver une image d’une familiarité vivante et d’une minutieuse ressemblance. Aubrey s’éprit dès sa jeunesse de ces études, et il les poursuivit toute sa vie, mais avec un enthousiasme intermittent et une activité à bâtons rompus qui ne lui permirent d’atteindre à aucun résultat sérieux. En 1659, il y eut dans son comté natal du Wiltshire une réunion de gentlemen férus, comme lui, d’amour pour le passé de leur province. Ils convinrent de s’en partager la description, et Aubrey accepta de se charger de la région du nord. Tout ce qui nous reste de ce projet est un compte-rendu écrit en 1671, douze ans après la réunion dont nous venons de parler. Ce petit morceau, où se rencontrent quelques phrases éloquentes, n’est pas cependant pour faire regretter outre mesure qu’Aubrey n’ait pas achevé sa tâche. C’est une sorte de portrait du bon vieux temps, écrit avec une candeur qui porte la marque certaine de la crédulité, et dans un sentiment de vénération donquichottique d’où l’esprit critique est entièrement absent, quelque chose comme une élucubration de l’Oldbuck ou du Dominie Sampson de Walter Scott avec plus de sérieuse information. Aubrey semble avoir écrit toutefois une partie de sa description, mais la vieillesse le surprit avant qu’il eût achevé sa lâche, et son travail incomplet est allé dormir à Oxford, probablement dans le museum de son ami Elias Ashmole, en compagnie de tous ses autres papiers, pour le plus grand profit des chercheurs de l’avenir, car ces papiers d’Aubrey sont au nombre des documens les plus souvent cités par les érudits modernes. Pour le plus grand profit de ses rivaux en érudition