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Épuiser les efforts pour détourner la guerre avant qu’elle ne soit déclarée, et, quand elle est déclarée, pour en hâter le dénoûment, retenir autant que possible les fils des négociations près de se rompre, et, quand ils sont rompus, tâcher de les ressaisir et de les renouer, M. de Metternich mettait là tout son art, toute sa politique. Il n’avait pas réussi dans la première partie de son œuvre, puisqu’il n’avait pu empêcher la guerre, puisqu’il avait vu surtout se dissoudre dans cette affaire orientale de 1827-1829 l’alliance conservatrice qu’il avait eu tant de peine à former dans les congrès pour contenir l’esprit de subversion en Europe. C’était son plus vif grief contre la politique russe, qu’il persistait à déclarer « néfaste, » et la paix d’Andrinople, — septembre 1829, — qui allait permettre une réconciliation ou un rapprochement entre Vienne et Saint-Pétersbourg, cette paix, qui consacrait la victoire de la Russie par l’abaissement de la Porte, par la création d’un nouvel état grec, ne rassurait qu’à demi le chancelier autrichien. « Le mal est fait, disait-il, les pertes sont irréparables; l’existence future de l’empire ottoman est devenue problématique... L’Europe va se trouver placée dans une situation analogue à celle d’individus sortant d’une grande débauche... » Lorsque, quelques mois plus tard, M. de Metternich et M. de Nesselrode, également animés du désir de s’expliquer, se rencontraient à Carlsbad comme autrefois, le chancelier de l’empereur d’Autriche disait avec une familiarité grondeuse au chancelier de l’empereur Nicolas : « j’ai un reproche immense à vous faire... Comment, vous qui avez été le confident et l’appui de mes longues et utiles relations avec feu l’empereur, avez-vous pu prêter le flanc à la faction qui avait, durant plusieurs années, travaillé en vain à rompre un lien sur lequel reposaient en grande partie la paix de l’Europe et la tranquillité intérieure des états?.. Le deuxième reproche que je vous fais, ce sont les encouragemens que vous donnez aux ennemis de l’ordre, quels qu’ils soient, en vous écartant des principes politiques, qui sont les seuls justes. Cet état de choses ne saurait durer ; vous et la Russie, vous en seriez les premières victimes... » Il avait sur le cœur cette guerre qu’il n’avait pas pu empêcher.

Les événemens avaient trompé ses calculs ; ils n’avaient pas diminué l’homme qui, avec ses fatuités, ses affectations et ses prétentions