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d’incidens qui révèlent une situation singulièrement troublée et précaire. Le fait est que tout menaçait de se gâter, et que le ministère libéral de M. Sagasta, qui est au pouvoir depuis la mort du roi Alphonse XII, n’a échappé sans doute à une chute qu’en se hâtant de congédier les cortès pour quelques mois.

En réalité, le ministère qui a inauguré la régence espagnole par une politique de promesses libérales a vécu surtout jusqu’ici de compromis, de transactions, à la faveur d’une sorte de trêve des partis. Les conservateurs, qui, dans un sentiment de patriotique prudence et dans l’intérêt de la monarchie, lui ont cédé spontanément le pouvoir à la mort du dernier roi, ont évité de lui créer des difficultés; ils ne l’ont embarrassé ni de leurs prétentions, ni de leur opposition ; ils se sont faits ministériels de circonstance, sous l’habile et prévoyante direction de M. Canovas del Castillo. Les républicains, de leur côté, au moins les amis de M. Castelar, se sont abstenus de toute hostilité systématique et ont été les premiers à désavouer les conspirations, les tentatives de mouvemens révolutionnaires. Placé entre tous les partis, le ministère est lui-même le produit d’une fusion des élémens libéraux, d’une alliance entre les constitutionnels qui se rapprochent des conservateurs et les hommes qui représentent un libéralisme d’une nuance plus accentuée ou plus démocratique. La difficulté est de prolonger indéfiniment une situation aussi compliquée. Évidemment, depuis quelque temps, la politique d’équilibre que pratique M. Sagasta n’est point sans avoir eu ses crises intimes. Les prétentions se sont réveillées, les tiraillemens se sont multipliés ; la confusion s’en est mêlée avec les divisions et s’est introduite jusque dans le gouvernement, encore plus parmi les amis du ministère. Déjà un certain nombre de lois réformatrices sur les associations, sur le jury, avaient soulevé des contestations, ravivé les dissentimens, lorsque le ministre de la guerre, — c’est le troisième depuis un an, — le général Cassola, a tout compliqué, tout envenimé par un projet de réforme militaire qui ne tend à rien moins qu’à une reconstitution complète de l’armée par l’établissement du service obligatoire, par une réorganisation des armes spéciales et des divisions territoriales. Un des membres les plus modérés du cabinet, le ministre de la justice, M. Alonso Martinez, aurait, dit-on, prévenu le président du conseil que ces projets étaient trop graves pour n’être pas plus mûrement étudiés avant d’être portés aux cortès, qu’ils créaient des innovations périlleuses, qu’ils allaient blesser des intérêts sérieux dans l’armée comme dans le pays et susciter au cabinet d’inévitables difficultés. Le président du conseil, M. Sagasta, n’a pas vu le danger, il a laissé aller les choses, et tout s’est rapidement aggravé. La loi militaire a été l’occasion d’une véritable crise à Madrid.

A vrai dire, tout a été assez malheureux dans cette singulière affaire, préparée avec peu de prévoyance et conduite de la façon la plus décousue.