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France; il ne disposerait pas d’une escouade de l’armée. Il y a dans ces acclamations dont il est l’objet, avec l’esprit de sédition toujours prompt à se réveiller, passablement de fantaisie et même de ridicule. On va à la manifestation comme à une fête, pour s’agiter ou pour s’amuser, ou pour voir ce qui arrivera. Il n’y a pas moins, dans des scènes comme celles qui viennent de se produire, une moralité malheureusement assez sérieuse. Il y a d’abord le danger du retentissement qu’elles ont à l’extérieur, en Europe. Elles ne sont point évidemment faites pour donner une idée bien favorable de l’état moral de la France, pour relever la considération de notre pays. On a beau dire aux étrangers que la France de la gare de Lyon n’est point la vraie France, sensée, paisible, laborieuse; ceux qui sont toujours prêts à nous dénigrer, — et ils sont nombreux en Europe, — ne se hâtent pas moins de se servir de ce facile prétexte pour recommencer leur guerre de polémiques injurieuses ou ironiques contre nous. Les étrangers les plus sincères en sont à se demander ce que c’est que cette nation perpétuellement agitée, toujours occupée à se créer des fétiches. Ce n’est certainement pas ce qui peut aider à la sûreté de nos relations, à l’autorité de notre diplomatie.

A ne juger ces manifestations que par ce qu’elles ont de purement intérieur, il y a, il faut l’avouer, dans ces engouemens, dans ces vertiges des multitudes ameutées, quelque chose de profondément pénible et même d’humiliant pour le pays. Tout cela est factice et éphémère, nous voulons bien le croire; cela passera comme les chansons burlesques qui courent les rues. Ce n’est pas moins après tout un dangereux symptôme. C’est la preuve de l’affaiblissement de tous les instincts libéraux, de la confusion de toutes les idées, du trouble des esprits et des imaginations. Cherchez bien au fond, vous retrouverez, avec le fanatisme révolutionnaire, ce besoin maladif qu’éprouvent parfois les masses, ahuries et excédées, de courir à la servitude, de chercher un maître, fût-ce un inconnu, fût-ce le premier venu, pourvu qu’il ait le panache. Il est certain que c’est un état singulier. Ces scènes qui viennent de se passer, mais, en vérité, on ne les croyait pas possibles; on ne les voit que dans les républiques de l’Amérique du Sud ou dans le tableau d’Henri Regnault représentant Prim sur son cheval, au milieu des acclamations hébétées d’une foule ivre de sédition. Nous voilà bien avancés ! deux années à peine avant la célébration du centenaire de la révolution française, après un siècle passé à conquérir les garanties et les mœurs libérales, on parle couramment de dictature, et les multitudes serviles s’attroupent sur le passage d’un officier monté sur un beau cheval noir! Voilà qui est flatteur et réconfortant pour le pays! — Il y a de plus, on en conviendra, dans toutes ces scènes, quelque chose d’humiliant et de douloureux pour l’armée. On dirait vraiment, à entendre les partisans,