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horreur de ce qu’elle appelle la convention, à force de chercher le nouveau, l’original, elle tombe dans l’excentrique et le bizarre ; on dirait qu’elle a honte d’écrire avec les notes de tout le monde et dans un seul ton à la fois. Elle proscrit les phrases qui s’achèvent, les périodes qui se suivent et les morceaux qui se développent. Elle aime les crudités, les cruautés d’harmonie ou de tonalité. Pour elle, le naturel est platitude et la simplicité misère. Cette fuite obstinée de la banalité finit par être pire que la banalité même ; rien ne lasse comme de suivre ce continuel effort, et de marcher toujours en dehors de la route.

On n’entend pas sans fatigue la symphonie de M. d’Indy ; ce qui ne signifie point qu’on l’entende sans intérêt. Elle est construite sur une seule phrase : un air montagnard recueilli dans les Cévennes. Cette unité absolue d’une symphonie entière est acceptable en principe, mais très hasardeuse en pratique. Beethoven lui-même n’a pas osé tirer d’un thème unique plus d’un morceau, et M. Saint-Saëns, dans la symphonie que nous étudierons tout à l’heure, a donné à l’idée fondamentale la première place de beaucoup, mais non toute la place. M. d’Indy a voulu être plus rigoureux ; c’est un tort. Son thème est original ; il donne, à peine exposé par le cor anglais, une impression de campagne et de plein air, un peu comme le Ranz des vaches de Manfred ; mais il n’est pas de force à porter toute une symphonie. Il est trop flottant, son contour et son rythme ne s’accusent pas, ne s’imposent pas assez. Même incertitude dans le développement du motif que dans le motif lui-même. On ne suit pas aisément M. d’Indy ; l’on ne voit pas où l’on marche derrière lui, et l’on tâtonne en lui tenant la main. De là pour l’auditeur une certaine inquiétude, redoublée par les accidens du chemin : cadences rompues, résolutions bizarres, modulations incessantes, qui secouent à le briser le fil ténu du labyrinthe. Le premier morceau semble plutôt une fantaisie qu’une symphonie ; il manque de méthode et de logique. Les variations ou les variantes se multiplient, mais l’idée ne se développe guère ; on ne la sent pas grossir, se dilater avant de s’épanouir tout entière. Il est bon qu’une symphonie soit construite avec des lignes plus nettes, avec un plan plus arrêté.

Avouons en toute humilité que le second morceau nous a échappé ; mais le dernier nous a beaucoup plu. Le motif, tout à l’heure mélancolique, y prend des allures joyeuses, un entrain populaire et campagnard. On reprendrait çà et là encore un peu d’incohérence, quelques souvenirs de Berlioz, mais l’effet général est très heureux. La gaîté de ce finale est communicative ; on sourit, on rit presque à l’écouter. La facture en est fort habile, les rythmes y sont décomposés avec une science singulière de l’anatomie musicale. Quant à l’orchestration, elle ne saurait être plus ingénieuse. Le piano seulement a dans cette symphonie