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Plus récente est la Symphonie légendaire de M. Benjamin Godard, exécutée elle aussi par M. Colonne. Dans notre siècle sceptique et naturaliste, ne serait-elle pas tout à fait morte, la petite fleur bleue du romantisme, la fleur allemande ? On aime encore les histoires de revenans, de sylphes qui dansent au clair de lune, et de cavaliers qui chevauchent la nuit au bord des étangs. Rossini, je crois, disait de Verdi : C’est oune mousicien qui a oune casque ! M. Godard, lui, a un manteau, le manteau de Chateaubriand au cap Misène, le manteau romantique, qui appelle l’air rêveur et les cheveux longs. Romantique était déjà le concerto pour violon ; romantique est encore la Symphonie légendaire. Elle l’est même un peu trop : les feux follets y succèdent aux esprits, et les elfes aux feux follets ; il n’y est question que de manoirs, de dames qui montent à leur tour, du chevalier Wilfrid et des pâles lavandières. Certains coins de ce décor sont défraîchis, et il ne faut pas les regarder trop longtemps. Nous croirions davantage aux apparitions de M. Godard si elles revenaient moins souvent ; leur ténacité nuit à leur prestige.

Un peu monotone, l’œuvre est aussi un peu décousue. Aucun lien ne relie entre eux les différens tableaux ; aucune pensée n’en est l’âme, aucun personnage n’en est le héros. Je sais bien que des sujets de ce genre tolèrent et même réclament un certain vague, aiment le crépuscule ; mais les épisodes de la Symphonie légendaire gagneraient néanmoins à se grouper autour d’une idée ou d’un type. L’an dernier, M. Vincent d’Indy, l’auteur du Chant de la cloche, avait, dans son œuvre pourtant fantastique et surnaturelle, introduit plus heureusement l’élément humain avec l’intéressante figure du fondeur Wilhelm.

La partition de M. Godard, qui n’a pas l’unité sérieuse, la densité de celle de M. d’Indy, possède des qualités d’un autre ordre ; elle révèle une imagination facile, des rêves plus que des méditations, mais des rêves poétiques, de charmantes visions. Disons tout de suite que la troisième partie n’est pas la meilleure : la symphonie intitulée Dans la forêt manque de grandeur ; les Feux follets prêtent un peu à rire, et les Elfes, malgré leur clair refrain, ne font songer, que pour le regretter, à l’admirable Roi des aulnes. En revanche, les deux premières parties ont beaucoup de mérite. L’introduction : Au Manoir, est pleine de couleur. Un peu longue seulement, elle est développée avec ordre, avec suite. La progression de l’idée mélodique et celle des sonorités y sont en parfait équilibre ; la phrase fondamentale est distinguée, résolue en cadences originales, et l’orchestration serait irréprochable sans quelques éclats de cymbales, inutiles accens, qu’il serait facile de supprimer.

La ballade qui suit est une remarquable page de musique descriptive. Le prélude d’orchestre est solennel ; de simples octaves étagées