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Quoique Frédéric fit lui-même brûler les hérétiques, il n’avait point échappé à la contagion de leur hérésie. C’était son office d’empereur de faire monter les patarins sur le bûcher, mais il expédiait froidement, sans haine, cette formalité. Et même, quand ces sectaires demandaient qu’on ramenât église et papauté à la simplicité et à la pauvreté primitives, Frédéric trouvait que leur doctrine avait du bon. Si sévère pour eux à ses débuts, on le voit, à la fin de son règne, user de ménagemens à leur égard. Enfin les légistes, par habitude d’exalter le droit romain et de déprécier le droit canonique, hantés du fantôme évanoui de la grandeur impériale et importunés par cette réalité d’une grandeur pontificale, étaient tout à fait, comme nous dirions, des anticléricaux, et en même temps, par certaines tendances classiques de leur esprit, des demi-païens.

Par tous ces côtés, scepticisme de dialecticien, mysticisme de niveleur, logique de légiste, tradition antique, Frédéric était le plus dangereux ennemi de l’église romaine. Tout cela contribuait à lui donner cette physionomie d’ange rebelle, de Lucifer et d’Antéchrist qui fit de lui l’épouvante de l’Europe croyante et, comme disait le pape, la stupeur du monde (stupor mundi). En son génie se concentraient toutes les hostilités éparses dans l’univers contre la papauté. Il n’est pas étonnant que sa puissante étreinte ait été funeste à celle-ci et que, mourant par elle, le front sillonné de ses foudres, il ait emporté la consolation de lui laisser au flanc la blessure mortelle. En lui s’incarnèrent trois grands principes des futures révolutions : la renaissance, la réforme, l’idée moderne de l’état. En lui on voit poindre à la fois Érasme, Luther et Henri VIII, le fondateur de l’église nationale d’Angleterre, avec Charles-Quint, le destructeur de Rome.

Dans la légende germanique de Barberousse endormi dans la caverne du Kyphausen, ce qui donne au sommeil du Titan un aspect si imposant et si menaçant, c’est que l’imagination allemande a confondu dans une figure unique des traits appartenant à l’aïeul et au petit-fils : celui qui dort là, c’est à la fois Frédéric le géant et Frédéric l’impie. C’est pour cela que Henri Heine viendra rêver autour de cette caverne qu’environnent les essaims importuns de noirs corbeaux, guettant le réveil de l’empereur, épiant le moment où sifflera la flèche du bon archer. Qu’on ne s’y trompe pas : Frédéric II, si précise et si moderne que soit sa physionomie, a été promptement, tout comme Frédéric Barberousse, un personnage légendaire, un de ceux à la disparition desquels les peuples refusent de croire. Moins de cent ans après sa mort, vers 1348, un historien de la Suisse allemande écrivait: « En ce temps-ci, un grand nombre d’hommes de races diverses ou plutôt de toutes races déclarent -