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de la lune, ces deux luminaires du ciel, auxquels se comparent volontiers les deux grands luminaires de la chrétienté. L’attente est d’autant plus anxieuse que la lutte s’étend sur les contrées les plus fameuses, les plus sonores de l’Europe, où chaque nom de ville ou de province éveille des échos qui ébranlent toutes les imaginations. Il est question du Rhin et des Alpes, d’Aix-la-Chapelle, de Mayence, de Cologne, tout pleins des souvenirs de Charlemagne ; de Milan, de Rome, de la Sicile, tous pleins des souvenirs des vieux Romains. Au fait et au prendre, que se passe-t-il? Le plus souvent, le pape n’est même pas maître de Rome; la populace le chasse de son église du Vatican ; un comte de Frangipani, fortifié dans quelque monument en ruines, le tient en échec ; ses anathèmes tombent d’abord dans les populations les plus sceptiques et les plus blasées sur les anathèmes. Quant à l’empereur, on croit qu’il va entraîner avec lui, par-delà les Alpes, toutes les forces des Allemagnes, des multitudes infinies de guerriers à la fauve chevelure, tout un déluge d’hommes comme celui qui, autrefois, submergea l’empire romain. En réalité, s’il n’avait pas avec lui les chevaliers de ses domaines de Souabe, qui, la plupart, ne le suivent que pour l’appât d’une solde, surtout s’il ne pouvait compter sur ses Sarrasins de Lucera et de Nocera, il se trouverait presque seul sur la terre d’Italie. Son camp est un va-et-vient de gens qui arrivent et qui repartent, de barons allemands qui, après quelques semaines de chevauchée, demandent à rentrer chez eux, de gibelins d’Italie qui accourent pleins d’illusions et qui décampent froissés et déçus. A certains momens, l’empereur est si peu escorté que les bourgeois de quelque ville lombarde pourraient bien mettre la main sur lui, comme ils firent à l’un de ses successeurs, retenu par eux en prison comme un débiteur insolvable. Dans ses plus formidables expéditions, Frédéric n’a jamais eu autour de lui plus de 12 à 15,000 hommes. Presque toujours ce grand armement va échouer devant quelqu’une de ces bicoques italiennes, comme celles que Bonaparte ramassera par douzaines après une victoire à Lodi ou à Rivoli. Une année, c’est Brescia qui l’arrête ; une autre année, c’est Parme, Viterbe, ou Bénévent. L’aigle impériale, dont une aile s’étend sur la Baltique et l’autre sur la Palestine, se trouve prise dans le réseau des cités lombardes ou dans le tissu des intrigues romaines, comme un oiseau-mouche dans une toile d’araignée. Après quelques passes d’armes, on fait la paix, car l’effort a épuisé également les deux partis : l’empereur va renouveler sa profession de foi aux pieds du pape, et le pape l’appelle « son cher fils. » Puis, l’année suivante, c’est à recommencer.

On voit bien que ces deux puissances formidables sont en grande