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attendait le petit-fils de Frédéric, fils de Conrad IV, le petit Conrad, Corradino, comme l’appelèrent les Italiens : destinée si tragique que les nations l’ont pleurée, et que nous-mêmes, les Français, nous la pleurerions volontiers, si les Allemands ne la pleuraient pas si bruyamment. M. Jules Zeller a bien montré tout ce qu’il y a d’artificiel dans les regrets rétrospectifs de l’Allemagne actuelle, bizarrement mêlés de rancune contre la France de 1870, qui n’est cependant guère responsable des violences de Charles d’Anjou. M. Zeller prouve que l’Allemagne du XIIIe siècle, tout occupée de ses divisions et de sa transformation intérieure, resta presque indifférente à la fin dramatique du dernier des Hohenstaufen. Si le fils de Frédéric II fut regretté à cette époque, ce ne fut pas par les mimiesinger allemands, mais par les poètes provençaux et italiens. Aussi, dans la mémoire des hommes, est-il resté Corradino, bien plus que Conrad. Sa tentative et son supplice forment un épisode, non de l’histoire allemande, mais de l’histoire italienne.


III.

L’étude approfondie que M. Jules Zeller a consacrée à Frédéric II met en lumière des traits qu’on ne peut négliger, si on veut avoir le sens exact des hommes et des choses.

Un premier caractère du duel entre


« Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l’empereur »


est la disproportion énorme entre l’objet du débat et les moyens destinés à atteindre le but. C’est une lutte gigantesque, mais c’est surtout dans l’opinion des hommes qu’elle a ces proportions. Si l’humanité en est convulsée, c’est plutôt moralement que matériellement. Dans l’intellect de chacun des contemporains, homme, femme, enfant, l’empire comme la papauté a une prise puissante. Dans toute âme humaine, le pape, l’empereur, se reflètent en une image prodigieuse : toute idée de grandeur temporelle y procède de César, et, dans ces cerveaux pétris de foi et de religiosité, le pape a marqué profondément son empreinte. Pour chaque chrétien, l’empereur et le pape ont une grandeur subjective infinie ; mais quelle est leur puissance objective, leur puissance réelle?

Quand on apprend dans la chrétienté que le pape a excommunié l’empereur, ou que l’empereur, dans sa chevauchée impériale, va franchir les Alpes pour châtier le pape, toutes les têtes se troublent et tous les cœurs se serrent. On s’attend à je ne sais quel cataclysme effroyable, comme serait l’entre-choquement du soleil et