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la croisade. Les passions qui fermentaient dans le peuple, nous en avons eu l’expression dans l’émeute du jour de Pâques à Saint-Pierre de Rome. Vainement le pape fulminait contre l’impie Frédéric : les moines eux-mêmes, les franciscains, qui pullulaient dans les campagnes et qui étaient comme le Moniteur vivant de la papauté, ne répétaient qu’à contre-cœur le mot d’ordre. Dans toute la chrétienté, les cœurs étaient saisis d’admiration et de compassion, les esprits et les yeux tendus vers l’Orient. Le monde était ému à ce spectacle d’un souverain, — et quel souverain ? le premier de tous, le successeur direct de César, d’Auguste et de Charlemagne, l’héritier d’une couronne supérieure à toutes les couronnes, — renouvelant l’héroïsme de son aïeul Barberousse et courant au même martyre. On peut imaginer avec quelle unanimité dut être condamnée la conduite dure et injuste de celui qui aurait dû avoir pour le croisé un cœur de père et quelle réprobation, d’un bout à l’autre de l’Europe, s’éleva en réponse à ses anathèmes.

Du même coup la croisade prenait précisément le caractère qu’avait entendu lui donner Frédéric. C’était une croisade impériale et non papale ; le petit-fils de Barberousse guerroyait sous ses aigles, et non sous les clés de saint Pierre ; il n’était pas à la solde du pape, comme un Jean de Brienne ou un Simon de Montfort, attendant qu’on lui marquât sa part du butin : il faisait acte de souverain temporel, de chef suprême de la chrétienté, non de vassal ou de mercenaire du saint-siège. L’acte violent de Grégoire IX, à tous les points de vue, tournait contre lui.

L’empereur, pendant la croisade, usa plus de la diplomatie que de l’épée; ce fut par un traité avec Maleck-el-Kamel qu’il prit possession de Jérusalem. Lorsque le prince excommunié fit son entrée dans l’église du Saint-Sépulcre, les prêtres se hâtèrent de quitter le sanctuaire, et c’est de ses propres mains que Frédéric prit sur l’autel le diadème de Godefroi de Bouillon pour le poser sur sa tête. Il n’en était pas moins acquis que c’était lui, lui seul, qui avait restitué les saints lieux à la dévotion des chrétiens ; là où quatre générations de croisés avaient échoué, il avait réussi. Les barons de Syrie, les pèlerins allemands, et, à défaut des Templiers et des Hospitaliers, les chevaliers de l’ordre teutonique lui donnaient hautement raison; car « ils ne voulaient rien autre chose, assuraient-ils, que le libre accès du sanctuaire. » D’ailleurs, si Frédéric n’avait pu recouvrer qu’une partie du royaume de Jérusalem, à qui en imputer la faute, sinon au pontife qui, indirectement, s’était fait l’allié des Sarrasins? En Allemagne, on s’indignait qu’un prêtre eût osé mettre en interdit la ville où Jésus avait été crucifié et enseveli. « Ce fut, disent les Annales de Worms, un tort fait aux