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comme siennes. Il reconstitue, parmi les cités de la Haute-Italie, la clientèle gibeline et menace la confédération des cités guelfes qui avait toujours été la fidèle alliée du saint-père. Surtout il semble se dérober à l’obligation de la croisade qu’il avait spontanément contractée ; et, malgré les cris de détresse, malgré les nouvelles désastreuses qui arrivent de la Palestine, il remet de mois en mois, d’année en année, son départ pour la terre-sainte. Le vieux pape voit bien ce qu’il ne voudrait pas voir et s’en inquiète; mais, avec de belles paroles et des promesses sans cesse renouvelées, Frédéric épaissit le bandeau sur les yeux de son indulgent tuteur. « Qui pourrait, lui écrivait-il, être plus fidèle à l’église que l’enfant réchauffé dans son sein ? »

Au fond, Frédéric II, qui subissait la pression des idées de son temps et de l’opinion universelle, ne refusait pas d’aller à la croisade. En Orient, il avait à espérer gloire et profit : le royaume de Jérusalem reconquis lui semblait une partie intégrante du domaine impérial; déjà il épousait Yolande de Brienne, l’héritière de cette couronne. Seulement, il voulait partir pour la terre-sainte, non comme un vassal du saint-siège, mais comme l’empereur des chrétiens : ses conquêtes, il voulait les faire en son nom, à son profit; il entendait augmenter ses états héréditaires et non accroître le nombre des royaumes tributaires de Rome. De là, sans parler des difficultés inhérentes à une telle entreprise, les retards et les violations de parole dont se plaignait Honorius.

Pourtant, en mars 1227, dans ses ports des Deux-Siciles, Frédéric avait réuni 100 vaisseaux de guerre, 50 navires de transport, amassé des vivres et de l’argent, réuni des guerriers nombreux, vassaux italiens, feudataires allemands, chevaliers de l’ordre teutonique. Il était prêt à partir, lorsque Honorius mourut.

Le pape qui lui succéda, Grégoire IX, était un vieillard ardent et même violent, en qui revivait l’esprit dominateur d’Innocent, mais avec moins de souplesse, moins d’habileté diplomatique, plus d’âpreté et d’emportement. Son élection éclata « comme un coup de foudre en plein midi, » (velut fulgor meridianus). D’un tel pape, il n’y avait pour Frédéric ni indulgence ni connivence à attendre. C’était en juin : l’empereur se hâta de mettre à la voile. Puis, pour des raisons tout à fait sérieuses, que M. Jules Zeller a clairement déduites, — épidémie à bord de la flotte, agitation inquiétante en Italie et en Allemagne, — il laissa l’Armada poursuivre sa route et revint à terre. Son départ n’était qu’un faux départ. Aussitôt Grégoire IX, sans même attendre les explications de l’empereur, lança sur lui les foudres ecclésiastiques.