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Dieu et le pape travaillent pour lui. Avant d’avoir eu à livrer une seule escarmouche à son rival de Brunswick, avant de s’être rencontré une seule fois en face de lui, Frédéric se trouve avoir remporté sur lui une grande victoire, une victoire gagnée loin de son camp, pour laquelle il n’a pas eu la peine de combattre et où la diplomatie pontificale a triomphé pour lui.

M. Zeller s’est étudié à montrer comment la bataille de Bouvines, qui est un des grands faits de l’histoire de France, est un fait encore plus considérable de l’histoire européenne. Dans sa lutte contre les deux souverains excommuniés d’Angleterre et d’Allemagne, contre l’impie Jean sans Terre et le rebelle Otton IV, Philippe-Auguste se trouve être le champion de la papauté. Indirectement, il combat donc pour le protégé de celle-ci, le jeune Frédéric. C’est par des mains françaises qu’Otton est jeté à bas de son cheval, c’est devant l’oriflamme, devant la bannière de l’abbaye de Saint-Denis, qu’il prend la fuite, et c’est sur un champ de bataille français que Frédéric a conquis la couronne impériale. Son rival, qui n’a dû son salut qu’à son cheval, trouve l’Allemagne tout entière soulevée contre lui ; il n’obtient un asile que dans la ville de Cologne, où lui-même et son impératrice sont nourris par la charité des bourgeois, et étroitement surveillés par eux. Après quelques tentatives infructueuses, il meurt sur ses terres de Brunswick. il meurt après s’être réconcilié avec l’église, après avoir accepté une flagellation en expiation de ses péchés, et au chant du Miserere entonné par les moines cisterciens.

Le bon jeune homme que le pape avait conduit par la main au sacre impérial ne se montre pas ingrat. D’ailleurs ce n’est pas le moment. Innocent III est alors à l’apogée de sa puissance ; il préside le concile œcuménique de Latran ; entouré des représentans de l’église universelle, il lie et délie, décrète une nouvelle croisade contre les infidèles, excommunie les barons d’Angleterre ligués contre leur tyran, prononce la déchéance du comte de Toulouse et partage ses états entre les croisés du midi, confirme les statuts des dominicains et des franciscains, qui mettent à sa disposition deux redoutables milices, affirme plus orgueilleusement que jamais la domination de l’église dans les choses temporelles comme dans les choses spirituelles.

Aussi Frédéric prodigue-t-il les marques de soumission à l’église ; sans que le pape lui en ait fait une loi, avant même que les troubles de l’Allemagne soient apaisés, il s’empresse d’attacher sur sa poitrine la croix rouge et fait vœu d’aller en terre-sainte.

Quand Innocent III mourut, peu de temps après cette triomphale apothéose de Latran, le monde respira. Et aussitôt, dans le débonnaire empereur Frédéric, jusqu’alors tout confit en dévotion et en