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garder son royaume des Deux-Siciles, état vassal et tributaire du saint-siège. Innocent III déclarait exercer cette tutelle moins en vertu du testament de la mère, qu’en vertu de ses droits de suzerain et de véritable souverain du royaume : jure regni. Encore l’effacement de Frédéric n’assurait-il pas la paix à son enfance. Dans les luttes entre le pape et les prétendans à l’empire, plus d’une fois des margraves allemands supplantèrent, à Palerme, les légats d’Innocent, pour être ensuite remplacés par ceux-ci : en sorte que le jeune roi, suivant les vicissitudes de la guerre, passait comme un jouet des mains des ennemis héréditaires de sa famille, les partisans d’Otton, aux mains des ennemis éternels de l’empire, les agens du saint-siège.

Dans l’ardente compétition pour le diadème de Charlemagne, qui pouvait penser à l’orphelin? Son tour vint cependant. Quand Innocent III, pour mieux user l’empire, fut parvenu à user successivement deux empereurs, Philippe et Otton, le Souabe et le Brunswickois, le pape, cherchant un rival à opposer à ce dernier, jeta les yeux sur ce jeune homme inconnu et en apparence insignifiant, âgé alors de dix-sept ans, qui languissait à Palerme. De ce petit roi des Deux-Siciles, resté alors si complètement étranger à l’Allemagne, il résolut de faire un césar. Frédéric put donc aspirer à l’empire, mais seulement en vertu de cette maxime pontificale que « l’empire n’appartient pas à celui à qui l’Allemagne le donne, mais à celui à qui le pape le décerne. » Vassal docile à Palerme, on espérait qu’il serait vassal docile à Francfort. Le petit-fils du redoutable Barberousse, le fils du violent Henri VI, de l’empereur à qui ses cruautés avaient valu le surnom de Cyclope, devenu un simple client du saint-siège, choisi par le pape précisément parce qu’il était pauvre et mendiant (mendicus et pauper), soutenu, mais humilié, accablé, de la hautaine protection du souverain-pontife, escorté et tenu en lisière par un des légats romains, partit pour l’Allemagne, salué d’avance par son rival, Otton de Brunswick, du surnom de « roi des prêtres. »

Le petit roi des prêtres, en Allemagne, ne chemine d’abord que sur les terres d’église. Il a pour premiers alliés l’évêque de Coire et l’abbé de Saint-Gall. De leurs mains, il passe dans celles de l’évêque de Constance, puis de l’évêque de Bâle. L’évêque de Strasbourg accourt au-devant de lui avec cinquante cavaliers. Le voilà sur les terres des archevêques-électeurs, des évêques de Worms et de Spire; nourri de l’autel, d’archevêché en évêché, et d’évêché en abbaye, sans s’écarter du cours du Rhin, le fleuve ecclésiastique par excellence, qui n’arrosait alors que terres d’église et qu’on appelait « la rue des prêtres, » le candidat pontifical fait de rapides progrès.