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le souverain russe dans les affaires d’Orient, comme il croyait avoir réussi à le fixer dans sa politique de contre-révolution en Europe.

C’est un manège perpétuel, voilé le plus souvent par les événemens extérieurs, — Curieux à suivre dans l’intimité. Tantôt M. de Metternich croit avoir définitivement ressaisi Alexandre, tantôt il le sent s’échapper, et il est obligé de reprendre son œuvre de patience avec ce prince, qu’il peint en artiste aussi complaisant pour lui-même que peu respectueux quelquefois pour son modèle. « j’ai, dit-il, le sentiment de me trouver au milieu d’une toile que je tisse comme mes amies les araignées... L’empereur Alexandre tient encore bon, mais il se trouve seul au milieu des siens. Les uns veulent le contraire de ce qu’il veut, les autres n’ont pas la force de rien vouloir. Pour ne pas faire fausse route, il faut séparer le tsar de son entourage. Il veut ce que je veux moi-même, mais son entourage veut le contraire. Dans cette situation morale, l’empereur Alexandre a pris la seule résolution qu’il fût possible de prendre : il a différé toute action réelle et s’est replié moralement sur moi. C’est par là que s’explique ma toile d’araignée. Des toiles de ce genre sont jolies à voir, tissées avec art, et résistent à de légères attaques, mais non pas à un coup de vent... » — Il y revient bientôt dans ses lettres familières; il écrit un autre jour : « Après quelques mois perdus pour le repos du monde, l’empereur Alexandre se prend la tête à deux mains et vient se planter devant moi, en me priant de lui remettre de l’ordre dans ses pensées. Et c’est ce qui arrive encore aujourd’hui. Capo d’Istria est l’homme du monde qui s’entend le mieux à embrouiller une affaire. Or l’affaire d’aujourd’hui est emmêlée à tel point que l’empereur Alexandre ne peut plus ni avancer ni reculer. J’ai prévu le cas, j’ai vu venir le jour où il me présenterait encore une fois sa tête à remettre en bon état. Il faut donc que je recommence le travail dont j’ai à me charger chaque fois que surgit une grosse question. » Il poursuit ainsi deux années durant, de 1821 à 1823.

A travers tout, cependant, un jour venait où l’empereur Alexandre, fatigué de se débattre dans ces affaires orientales, semblait plus disposé à en finir, tout au moins à se prêter à une transaction dans l’intérêt de la paix, et où M. de Metternich pensait avoir trouvé, non pas une solution, mais le préliminaire d’une solution. Le chancelier d’Autriche, avec sa fertilité dans l’art des subterfuges, avait imaginé et fait accepter par le tsar un expédient qui simplifiait la question en la divisant. On devait commencer, — C’est lui qui s’en chargeait, — par mettre fin au conflit diplomatique qui n’avait cessé d’exister entre la Russie et la Porte, qui pouvait à tout instant conduire à la guerre ; puis, cette première difficulté une fois écartée, les cinq grandes puissances de l’Europe se réuniraient à Saint-Pétersbourg