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M. Wundt attribue aussi à l’aperception le fait suivant : dessinez au tableau un dé dont les arêtes seules soient indiquées, « vous pourrez mettre en avant dans votre esprit celle des deux faces que vous voudrez, selon que vous vous représenterez intérieurement le dé vu de dessous ou vu de dessus. » — Mais qu’y-a-t-il de plus simple que ce changement de perspective, dû à la manière dont nos souvenirs intérieurs s’associent avec les lignes extérieures ? Il est clair que le de du tableau est une esquisse grossière qui éveille par association un souvenir plus précis, et ce souvenir, selon les hasards de l’imagination ou selon l’intérêt pris par nous à la chose, peut affecter lui-même deux formes diverses. Est-il besoin d’imaginer ici un mode de liaison spécifiquement distinct des lois nécessaires de ressemblance ou de contiguïté ? Pareillement, on peut voir par l’imagination un grand nombre de formes dans les nuages, dans les roches, dans les simples accidens d’une table en bois. On prétend que Léonard de Vinci recommandait à ses élèves, lorsqu’ils cherchaient un sujet de tableau, d’étudier avec soin l’aspect des surfaces de bois ; on finit par voir se dessiner, au milieu des lignes confuses, certaines formes d’animaux, des têtes humaines, des groupes pittoresques. Il n’y a dans tout cela qu’une soudure des images intérieures avec des points de repère extérieurs, comme quand on fait passer une courbe par des points donnés.

Cette soudure explique certains effets étranges d’hallucination. On persuade à une malade qu’il existe sur une table voisine un oiseau, puis, sans la prévenir, on interpose un prisme devant un de ses yeux : la malade s’étonne alors de voir deux oiseaux ; si on lui donne une lorgnette, l’oiseau imaginaire s’éloigne ou s’approche selon le bout par lequel elle regarde. Une jeune fille hystérique voyait la Vierge lui apparaître : en lui pressant l’œil, on dédoublait invariablement cette apparition miraculeuse, et on lui faisait voir deux Vierges. C’est que toutes ces hallucinations sont attachées à quelque point réel dont elles sont comme une auréole imaginaire, — tel point de la table où on croit voir l’oiseau, tel point de la fenêtre où on croit voir la Vierge : si vous dédoublez le point d’attache ou centre de localisation, si vous l’éloignez ou le rapprochez par des instrumens d’optique, vous transférez le même effet à l’image hallucinatoire. Ces faits prouvent que l’imagination n’est ni entièrement esclave ni entièrement indépendante des excitans extérieurs et qu’il se fait une combinaison de ce qu’on voit avec ce qu’on imagine ; mais cette combinaison a toujours lieu par des points de contact, qui sont ou des points de ressemblance, ou des points de contiguïté. Il n’y a pas là de lien particulier provenant d’un « acte d’aperception » libre et dégagé des lois de l’association ordinaire. La direction volontaire