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être que la conclusion consciente de prémisses absolument inconscientes. — Cette théorie, selon nous, est encore une sorte de platonisme trop rationaliste et trop abstrait. On peut bien admettre que le raisonnement est la forme naturelle de la synthèse logique mais non de toute synthèse en général ; si on veut former la sensation même avec des raisonnemens, on poursuit une chimère, comme Platon qui avait fini par faire de la sensation un « mélange d’idées; » on recule la difficulté sans la résoudre, car ce n’est pas le raisonnement même qui fournira les termes entre lesquels il établit un lien, soit logique, soit mécanique. Ne faut-il pas toujours en venir à quelque chose qui soit senti d’une manière immédiate, à quelque « marque » qui se laisse apercevoir en elle-même et par elle-même? De ce que je ne puis exprimer ni traduire ma sensation du rouge dans la langue du raisonnement, comment inférer, avec M. Wundt, qu’elle soit la conclusion d’un raisonnement, sauf à se tirer ensuite d’affaire en disant que ce raisonnement est inconscient? Tout au contraire, il faut dire que la sensation n’est pas raisonnée, ni d’une manière consciente, ni encore moins d’une manière inconsciente, mais qu’elle est sentie par un sentiment immédiat. De même, les trois images ou sensations dont par le M. Binet, pour être liées par le mécanisme du raisonnement, doivent préalablement être données et senties.

Il faut donc chercher l’unité de composition des faits intérieurs dans quelque chose de bien plus profond que le raisonnement. Les intellectualistes ne sont souvent que des mécanistes qui s’ignorent, et réciproquement.

M. Wundt lui-même a fini par le comprendre, mais a-t-il enfin trouvé l’élément primordial? — Les dernières éditions de son savant ouvrage accordent le rôle prépondérant à ce qu’il appelle, avec Leibniz, l’aperception. Comparant le champ de la conscience au champ de la vision, M. Wundt nomme perception l’entrée d’une représentation quelconque, par exemple d’un son ou d’une odeur, dans le « champ visuel de la conscience, » et il nomme aperception l’entrée de cette même représentation au «point de vision distincte » de la conscience, c’est-à-dire l’attention saisissant un objet. Selon lui, l’activité fondamentale et primitive de notre pensée consisterait dans le pouvoir que nous avons d’amener une représentation à ce point de vision distincte et de l’y maintenir. La volonté elle-même ne serait autre que ce pouvoir; aussi M. Wundt emploie-t-il l’un pour l’autre les termes d’aperception et de Wille,

Cette théorie n’est pas sans analogie avec celle de M. Renouvier, qui place la liberté dans le pouvoir de maintenir une représentation sous le regard de la conscience ou, au contraire, de la laisser passer sans y faire attention. Un psychologue distingué de l’Amérique,