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en voyant ce qui se faisait alors, mesurer le chemin qu’avaient parcouru les successeurs du peintre dominicain. Il aurait en vain cherché dans leurs œuvres ou dans leur vie cette pureté de mœurs ou de talent dont le pieux artiste avait donné l’irréprochable exemple. Le réformateur avait bien pu flétrir dans son ardente prédication des écarts qui l’indignaient, et ramener aux doctrines et aux vertus anciennes quelques âmes plus ferventes, comme fra Bartolommeo et Sandro Botticelli. Mais à peine avait-il disparu que lettrés et artistes retournaient avec un engouement plus passionné aux vaines spéculations contre lesquelles il s’était élevé avec tant de force. Ce n’étaient plus seulement des humanistes, c’étaient des princes de l’église qui se disaient les disciples d’Aristote et de Platon, quand ils ne poussaient pas leur amour de l’antiquité jusqu’à restaurer les fêtes les plus licencieuses du paganisme. Parmi les peintres qui faisaient profession de traiter les sujets religieux, plus d’un alors avait étonné une société, cependant assez corrompue, par des scandales publics et réitérés, et Pérugin, l’interprète le plus autorisé des dévotions populaires de l’Ombrie, ne jouissait pas, on le sait, d’un bien grand renom d’orthodoxie. Les papes eux-mêmes, — quand ils ne donnaient pas, comme Alexandre VI, l’exemple de la vie la plus déréglée, — absorbés par les intrigues d’une politique sans vergogne, semblaient se désintéresser des dogmes dont ils avaient la garde, et dix ans s’étaient à peine écoulés depuis la mort de Savonarole que Jules II faisait peindre dans son propre palais l’École d’Athènes et Apollon parmi les muses, en face même de la Dispute du Saint-Sacrement.

Ce n’est donc pas Raphaël seul que nous devons accuser si, en présence d’une confusion d’idées aussi étrange en elle-même et si imprévue en ce lieu, nous pouvons, en accordant une égale admiration aux deux compositions, nous demander laquelle de la Dispute ou de l’École d’Athènes est la plus religieuse, et demeurer incertain sur la supériorité morale de l’une ou de l’autre de ces augustes assemblées. L’artiste avait-il mieux à faire que de s’acquitter avec une perfection semblable du double programme qui lui était tracé? En dressant ainsi autel contre autel, en opposant en quelque sorte Aristote et Platon au Christ lui-même, ne se montrait-il pas le fidèle traducteur des idées d’une époque qui, suivant la remarque de M. de Sanctis, « embrassant et glorifiant toute culture, » allait acclamer dans l’Ecole d’Athènes « une sorte de synthèse et d’apothéose du siècle? » Quand, abandonné à lui-même, l’artiste a pu revenir aux inspirations de sa jeunesse, n’a-t-il pas su, tout en restant fidèle aux traditions de l’art religieux, mettre à son service des moyens de réalisation bien autrement puissans que ceux dont il avait disposé jusque-là, et pour n’avoir plus rien conservé de la raideur hiératique,