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Velazquez et Rembrandt nous révèlent chez leurs modèles. Les personnages de Raphaël gardent toujours cette sérénité tranquille qui marque une entière possession de soi-même. « Posés et virils, » ils réalisent bien, dans leur correction imperturbable, cet idéal de l’homme de cour accompli « dont le visage doit être calme comme celui d’un Espagnol, » ainsi que le demande Balthazar Castiglione, ainsi que Raphaël nous l’a montré dans l’image qu’il nous a laissée de son ami lui-même, le célèbre auteur du Courtisan. Nous pouvons admirer ces portraits, mais nous les interrogerions en vain pour provoquer leurs confidences; ils demeurent impénétrables. Suivant la remarque de M. Müntz, à voir combien leur nombre est restreint, on dirait que l’artiste, d’ordinaire si obligeant, « voulait réserver cette haute faveur, soit à des souverains, soit à ses amis les plus intimes, » et ce fait seul suffirait à démontrer le peu de goût qu’il avait pour ce genre d’ouvrage. Un détail assez curieux semble confirmer encore cette disposition, c’est que ce peintre, épris de la beauté féminine et qui a su si bien l’exprimer, n’a peint que très rarement des portraits de femmes, et que, dans le nombre, à part celui de la Tribune, si tant est qu’il soit de lui, on n’en citerait guère qui offrent de bien grandes séductions. Ce n’est pas la Madeleine Doni, encore moins la Donna Gravida du palais Pitti, qui pourraient être proposées comme des modèles de grâce, et, avec son expression inerte et un peu bestiale, la prétendue Fornarine du palais Barberini ne répond guère à l’idée que nous aimerions à nous faire de l’amie du peintre. Quant au Portrait de Jeanne d’Aragon du Louvre, dont la réputation était cependant consacrée de son temps, la froideur de ses traits inanimés atteste assez qu’il n’a pas été fait d’après nature. Ainsi que nous l’apprend M. Müntz, il résulte, en effet, d’une lettre publiée par le marquis Campori, que le maître, ne pouvant se rendre lui-même auprès de la princesse, avait envoyé à Naples un de ses garzoni afin d’y dessiner un croquis qui lui servît pour exécuter son œuvre.

Si grande que soit chez Raphaël la science du dessin, l’art de la composition demeure chez lui encore plus remarquable. C’est par là qu’il l’emporte sur tous ses rivaux, et cet élément qui, chez l’artiste, relève plus particulièrement de l’intelligence, nous fournit le témoignage le plus éclatant de son génie. Ses qualités à cet égard sont tout à fait exceptionnelles, et si, sur ce point encore, il a été servi à souhait par les circonstances, nous devons cependant reconnaître que l’éducation et le travail ont singulièrement développé ses dons originels. La nécessité d’exercer au début son talent dans les limites du programme assez restreint que les traditions religieuses imposaient à la peinture ombrienne fut certainement pour lui une cause