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de noter, et, bien que très sommaires, ses indications sont déjà d’une justesse qui témoigne en faveur de cette précoce faculté de transposition. Ce n’est pas la seule fois d’ailleurs que l’artiste nous donne un pareil exemple. Un autre adolescent lui sert pour la figure du Père Éternel dans le Couronnement de saint Mcolas de Tolentino, ou pour un des anges dans les Gardiens du Tombeau (université d’Oxford). Plus tard, quand il ne serait plus embarrassé de trouver des modèles féminins, c’est encore un homme qu’il fait poser pour la figure de la Vierge de la maison d’Albe, qui appartient à la période romaine (de 1508 à 1513), ou bien c’est un squelette qui lui donne le mouvement de la Vierge succombant à sa douleur dans la Mise au Tombeau de la galerie Borghèse.

Une telle force d’abstraction est remarquable, mais cette façon un peu indirecte et assez sommaire de consulter la nature a aussi ses dangers, surtout avec un génie fécond comme l’était celui de Raphaël. Désireux de produire, il se vit bientôt trop pressé de le faire et assailli par d’innombrables commandes. La tentation de profiter de ses dons et de vivre sur le fonds qu’il avait acquis ne pouvait chez lui manquer d’être grande. Sans songer à se renouveler autant que l’aurait exigé cette incessante production, il devait inévitablement en venir à puiser, suivant ses besoins, dans ses souvenirs ou dans son imagination, à y prendre ces types tout faits, tout d’une venue dont à l’appel de sa pensée sa main retraçait docilement l’image. Malgré tout, on est émerveillé de la richesse d’invention qu’il conserve encore dans le temps même où les travaux les plus nombreux et les plus divers s’imposent à son activité. A côté de morceaux tout à fait insuffisans et qui montrent la précipitation de son travail ou l’intervention trop évidente de ses collaborateurs, on voit tout à coup apparaître un chef-d’œuvre radieux, comme la Madone de Saint-Sixte, œuvre de tout point parfaite et qui jaillit comme spontanément de son esprit, puisque, jusqu’à présent, on n’a pu découvrir aucune étude qui en ait préparé l’exécution.

Étant données ces dispositions du peintre en face de la réalité, nous pouvons un peu pressentir ce que seront ses portraits. Avec les qualités et la tenue que nous devons attendre d’un tel dessinateur, ils ont tous un air de force, d’équilibre, de santé physique et morale qu’en fidèle traducteur de l’idéal que s’étaient fait ses contemporains, Raphaël était si naturellement porté à leur donner par son propre tempérament, par l’idée même qu’il avait de son art. Vous pouvez admirer l’ampleur, la sûreté de sa facture dans les beaux portraits de Léon X, de Bibbiena, d’Inghirami et de Bindo Altoviti ; mais, en dépit de la diversité des types, vous chercheriez-en vain sur ces visages impassibles quelque trace d’émotion, quelque chose de ces particularités de la vie individuelle que Titien, Holbein,