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Raphaël se corrige bien vite de ce défaut. Ses indications deviennent plus sûres et son goût se développe. Avec une fécondité inépuisable, nous voyons naître et se multiplier sous son crayon ces figures d’une pureté, d’une sérénité charmantes. Drapées plus largement, leurs formes, déjà moins grêles, restent toujours contenues ; de gracieuses inflexions animent çà et là les grandes lignes de leur silhouette. Puis à la placidité primitive succède le sens de la vie, dans la vérité des attitudes et l’expression des sentimens. Si l’artiste cherche parfois à s’approprier quelque chose de la force et du mouvement que possèdent ses rivaux, Michel-Ange surtout, son tempérament le porte de préférence vers les impressions calmes, qui n’altèrent ni l’équilibre des corps, ni les traits du visage. Ses personnages ne sont ni agités ni inertes ; sans trop appuyer, avec un tact exquis, il sait rendre évidentes leurs intentions. Attentif à observer la manifestation des sentimens les plus divers, il en exprime nettement toutes les nuances. Sous ce rapport, son séjour à Rome l’a merveilleusement servi. La mimique spontanée, vive et clairement intelligible de cette race démonstrative, lui fournissait abondamment les exemples de mouvemens naturels, simples et pittoresques, commentaires vivans des scènes qu’ils accompagnent. Par les rues, sur les marchés, dans les églises, l’artiste pouvait les étudier. En tempérant ce que les gesticulations populaires avaient d’excessif, il notait avec un soin particulier le jeu de ces mains si mobiles. Dans un dessin du Louvre, il nous montre comment elles marquent l’étonnement ou la terreur, comment elles cherchent à émouvoir, à convaincre ou à commander. Suivant les sexes, suivant les âges, suivant les classes, il s’appliquait ainsi à figurer leurs gestes les plus significatifs, aies mettre d’accord avec les attitudes, avec les traits des visages, avec les mobiles qui font agir ses personnages.

Raphaël a dû à de telles études le don de se communiquer, de se faire comprendre, tout en restant fidèle à cet esprit de mesure qui est un des caractères distinctifs de sa nature. Malgré la diversité des sujets qu’il traite et des types qu’il crée, c’est dans des limites étroites qu’il se meut, en respectant toujours un certain canon des proportions humaines que peu à peu il s’est fait à lui-même. Vous ne remarquerez pas non plus chez lui ces répétitions de certaines formes dans lesquelles retombe à son insu l’écrivain ou l’artiste, ce pli particulier que telle habitude de pensée ou tel procédé qui lui est familier donne à sa façon de s’exprimer et qui le fait reconnaître entre tous: quelque chose comme cette grâce un peu mignarde qui se retrouve dans les figures de femmes du Corrège, ou encore ce sourire étrange si souvent esquissé sur les visages qu’a peints Léonard. Ennemi de toute exagération, Raphaël