Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

treize années du premier empire, le monnayage de l’or dépassa chez nous 38 millions de francs par année, tandis que, pendant les trente-deux années de la restauration et du gouvernement de juillet, la moyenne annuelle de la frappe n’atteignit pas 15 millions. La réforme anglaise de 1816, en adoptant l’étalon d’or, en détourna les courans. Les capitalistes de Londres avaient prêté, de 1820 à 1825, plus d’un milliard de francs aux républiques de l’Amérique latine nouvellement émancipées; celles-ci payaient les intérêts de leurs dettes en envoyant à Londres des barres d’argent. Le rapport commercial entre les deux métaux précieux se modifia : l’or, raréfié relativement, fut plus recherché. Il résulte d’un relevé établi de mois en mois de 1820 à 1847, et publié récemment par l’Institut des banquiers de Londres, que l’or a obtenu à Paris sans interruption une plus-value qui s’est élevée quelquefois à 20 pour mille ; il n’en fallait pas davantage pour déterminer son écoulement vers les marchés où il faisait prime. Il était devenu, dit à la tribune M. Benoît Fould, une espèce de curiosité. Quand éclata la révolution de 1848, il n’y avait qu’un million d’or dans les caisses de la Banque de France, qui, à la vérité, n’était encore que la Banque de Paris.

Je reviens à l’argent, objet spécial de cette étude. On sait par expérience que les armées en guerre répandent beaucoup de leur propre monnaie dans les pays ennemis qu’elles traversent. Après la campagne de 1870, on a recueilli en France 105 millions de monnaies allemandes : il est donc vraisemblable que les armées du premier empire, qui ont couru l’Europe pendant quinze ans, y ont disséminé une partie des pièces qui portaient l’effigie de Napoléon Ier. Vers les derniers temps de la restauration, Gay-Lussac démontra que l’épuration des métaux précieux avait été imparfaite, que les écus français fabriqués jusqu’alors contenaient une quantité d’argent fin supérieure à la proportion légale, et aussi des parcelles d’or : la plus-value pouvait être de 5 à 6 pour mille. Cette découverte fut aussitôt exploitée par les petits banquiers et les changeurs, qui recueillaient les pièces de 5 francs pour les livrer au creuset. Si mince que fût le bénéfice en apparence, le ministre des finances s’en inquiéta, et il fit rechercher par une commission s’il ne convenait pas d’opérer une refonte générale des pièces de 5 francs antérieures à 1825, afin d’en réserver les avantages au trésor. Quant au monnayage postérieur à 1830, il paraît qu’une des causes de déperdition a été sa perfection même. Nos médailles, d’un type très pur et d’une précision métallique parfaite, étaient recherchées par le commerce étranger et plusieurs pays faisaient des économies de monnayage aux dépens de la France. La Suisse notamment avait trouvé le moyen de soutenir son commerce avec les monnaies de ses voisins.