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Depuis plus d’un quart de siècle, la lutte passionnée des intérêts, les débats et les conférences officielles, les publications et controverses en toute langue et de toute sorte, paraissent avoir fatigué le public sans l’éclairer beaucoup; il en est resté un nuage, même dans d’excellens esprits. Une réforme comme celle qui est en cause ne saurait s’accomplir en vertu de considérations théoriques, ni par des arrangemens internationaux. Chaque pays a un régime monétaire qui lui est propre, et qui résulte des instrumens métalliques dont il dispose, de sa pratique commerciale, de ses échanges avec l’étranger, de son monnayage, de ses banques et surtout de ses habitudes séculaires. De là des moyens et des procédés de circulation qu’on ne change pas à volonté. Chaque peuple prendra son temps pour agir, et c’est à la longue, de proche en proche, que la réforme se trouvera généralisée.

En ce qui concerne la France, la question se pose en ces termes : Comment est actuellement composé le stock métallique de notre pays? Quelles sont les existences en pièces de 5 francs d’argent, soit françaises, soit étrangères, et dans quelle mesure sont-elles utilisées? L’adoption de l’étalon unique d’or serait-elle une difficulté dans la pratique, ou un danger par ses effets? En deux mots, dans l’évolution irrésistible qui s’accomplit, que peut faire la France, que doit-elle faire? Je me suis promis d’éviter dans cette recherche les abstractions théoriques ; je reste dans l’observation des faits et dans la pratique des comptoirs. C’est la sauvegarde de l’intérêt français qui seule me préoccupe ; ceci dit, je vais droit au but.


I.

A quelle somme faut-il évaluer le stock d’argent monnayé existant actuellement en France ? La réponse à cette question est comme la clé des recherches monétaires ; elle est d’une importance décisive pour nous; et elle préoccupe les étrangers plus encore peut-être que les Français[1]. Si la France était écrasée, comme on le suppose, sous la masse des écus accumulés chez elle, elle serait en quelque sorte condamnée à l’immobilité, et toute réforme monétaire lui deviendrait impossible. Nous ne possédons pas heureusement

  1. Il s’agit ici seulement des pièces de 5 francs d’argent, qui sont chez nous, comme dans l’Union latine, des monnaies de paiement illimité, à l’égal de l’or. Ne sont pas comprises dans cette investigation les pièces divisionnaires, parce que leur quantité est limitée suivant les besoins, par l’état qui les émet; parce que, étant frappées depuis 1866 à un titre inférieur à celui des pièces de 5 francs, elles ne sont plus que des monnaies fiduciaires; et enfin parce que chacun des pays de l’Union latine conserve l’entière responsabilité de celles qui portent son effigie.