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ils ne lui ménagent pas les secours. La charité, quel que soit son acte de naissance, les trouve prêts, pourvu qu’elle soit la charité. Laïque, administrative, catholique ? qu’importe ; non-seulement ils ne se refusent pas, mais ils s’offrent et s’empressent. Leurs noms, que je connais bien, je les ai trouvés dans les bureaux de bienfaisance relevant de l’assistance publique, dans les souscriptions improvisées pour alléger le poids d’un malheur subit, sur les listes des donataires qui permettent aux associations en cornette ou en scapulaire de combattre le mal et de soutenir la faiblesse. On le sait à la société maternelle, à l’hospitalité de nuit, aux asiles, aux caisses d’arrondissement et ailleurs. J’ai raconté que la Société philanthropique devait à Mme Hottinguer la création d’un dortoir spécial, d’un dortoir maternel, à la maison de la rue Saint-Jacques où les femmes reçoivent l’hospitalité des nuits. Cela est bien. L’aumône, d’où qu’elle vienne, ne s’égare pas et fait son œuvre quand elle descend sur les malheureux. Par lui-même, le malheur est presque une religion, la religion universelle ; on la sert par la commisération et on l’honore par l’offrande. Si l’on ne venait en aide qu’aux gens qui partagent absolument nos opinions, il deviendrait urgent d’ouvrir quelques cimetières. J’ai cité la parole de Grégoire le Grand au moine Augustin : « Là où le Christ seul est adoré, la diversité des rites n’importe pas. » On peut l’appliquer à la charité et dire : « Là où l’infortune seule est à secourir la différence des origines et des religions est insignifiante. » La vraie charité dit : « Tu souffres, donc tu es à moi ! » c’est ainsi, je le crois du moins, qu’il faut la comprendre ; car, plus elle est abstraite, plus elle est dégagée des considérations de castes et de sectes, plus elle est belle. Aveugle pour les causes, clairvoyante pour les effets, insensible aux croyances personnelles, n’obéissant qu’à son instinct qui est de se prodiguer, elle devient pour celui qui l’exerce une force inébranlable. Telle je l’ai vue, telle je l’ai admirée chez le prêtre, le moine, la religieuse, chez les gens du monde ; telle je viens de la montrer chez les protestans ; et telle je vais la trouver bientôt parmi des hommes dont le culte et la race ne sont point les nôtres. On dirait, en vérité, qu’il suffit de vivre en notre pays de France pour être pénétré par l’amour du bien.


MAXIME DU CAMP.