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avec quelque chose de débraillé que l’on répare à la hâte pour éviter les reproches de la maîtresse ; ou bien il est prétentieux, hors de condition, si l’on peut dire, et dès lors désagréable aux yeux ; il rend gauche et donne un air « emprunté » à celle qui le porte et qui en est fière, quoiqu’il n’y ait pas de quoi. Une petite fille vêtue d’une robe en velours de coton, déformée par un trousquin, m’a rappelé les chiens savans que l’on montre à la foire. Parfois les mères jouent à l’enfant, comme l’enfant joue à la poupée, et auraient besoin, elles aussi, de quelques notions élémentaires de bonne tenue.

À l’école des garçons, j’ai compté une cinquantaine d’élèves présens : c’est lundi, les écoliers sont moins nombreux. Je suis stupéfait d’apprendre qu’ils font « le lundi, » comme les petites filles, du reste ; mauvaise habitude, que l’on devrait leur faire perdre, s’il est possible, et qui démontre que, bien plus que les enfans, les parens ne perdraient rien à être moralises. Je crois que là on n’en doute guère, car l’on m’y disait que le bénéfice obtenu au cours d’une année était, le plus souvent, perdu pendant les vacances, et qu’il fallait six semaines ou deux mois de soins assidus pour enseigner de nouveau ce qui avait été oublié. La salle où se fait la classe des garçons est de dimensions suffisantes, mais restreintes. Pourquoi donc y commande-t-on à coups de sifflet ? Sommes-nous à bord d’un navire de guerre, faut-il dominer le bourdonnement du vent à travers les cordages, parler plus haut que le tumulte des combats, être entendu de la barre au beaupré et de l’écoutille aux hunes ? C’est puéril. Les enfans auxquels on s’adresse seront des hommes, c’est du moins l’ambition de ceux qui les instruisent ; il est bon de leur parler et de laisser là le sifflet. J’en ai reçu une impression fâcheuse ; un pédagogue n’est point un chef de train obligé, pour être compris et obéi, de faire plus de bruit qu’une locomotive suivie du convoi qu’elle entraîne. À côté de la classe, on a établi une école professionnelle où les enfans peuvent faire un apprentissage sommaire du métier de menuisier ; leurs ouvrages d’essai : boîtes, coffrets, papeteries, sont de bon augure et prouvent qu’ils savent déjà manier la varlope et le ciseau. On leur enseigne sans doute quelques élémens de dessin d’après la bosse, car je vois des modèles suspendus aux murailles ; il en est un qui doit être surpris de se trouver en compagnie de la tête d’Ajax et de celle de Milon le Crotoniate : c’est le masque du duc de Reichstadt, moulé après sa mort ; front trop proéminent, nez napoléonien, lèvre autrichienne : la double origine est éclatante.

L’école est gratuite, gratuite aussi la fourniture des cahiers, des livres et des plumes, gratuite la distribution de quelques vêtemens