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beaucoup d’enfans restent au logis, où ils sont employés par les parens à mille petites besognes utiles au ménage. Le professeur demandait devant moi à un garçon d’une douzaine d’années pourquoi il ne venait pas à la classe du matin ; l’enfant répondit : « Maman est fruitière ; pendant qu’elle est aux halles, je garde la boutique. » Plus d’un est ainsi, car, dans ce monde dénué, l’enfant a sa part de travail et de responsabilité ; il surveille le pot-au-feu, — quand il y en a ; — il berce sa petite sœur encore au maillot, et fait les commissions à courte distance. On sait cela à l’école, et l’on n’exige pas des élèves une assiduité constante.

Parler de la salle d’asile et des classes serait inutile ; on sait ce qu’il en est. Dans tout établissement scolaire, l’enseignement est le même ; qui a visité une école les connaît toutes. Je dois dire, cependant, que j’ai admiré l’entrain de la directrice de la salle d’asile ; c’est une Alsacienne très vivace, point sévère pour ses marmots, et qui excelle à amuser les tout petits, parce qu’elle s’amuse autant qu’eux de leur plaisir ; elle les tient en mouvement le plus possible, car son expérience lui a enseigné que l’immobilité est préjudiciable à l’enfance. Les maîtresses des deux classes sont empressées à leurs fonctions et savent entremêler les leçons de grammaire, les leçons de couture, la morale et les historiettes de façon à ne jamais fatiguer et à distraire les jeunes cervelles qu’elles ont entrepris d’éclairer. Les classes se recrutent naturellement dans la salle d’asile, car, lorsque l’âge l’indique, on passe de celle-ci dans celles-là ; dès lors on pourrait croire que, sauf l’accroissement de la taille, on retrouve des enfans semblables à eux-mêmes ; il n’en est rien. À la salle d’asile, les fillettes sont, pour la plupart, charmantes, éveillées, avec de beaux regards limpides et de jolis teints roses. C’est la fraîcheur des premières années, qui ordinairement se prolonge et devient plus tard la beauté du diable. Elle disparaît rapidement pour ces pauvrettes ; on s’en aperçoit tout de suite en entrant dans la classe élémentaire. La misère semble s’être hâtée de faire son œuvre, et le milieu mal aéré des logis paternels exerce son influence ; la face est pâle, le sourire est triste et le regard voilé. Dans la classe supérieure, presque toutes les élèves sont laides, avec les joues plombées, les paupières bouffies, les gestes maladroits. Elles ont déjà l’air d’avoir été surmenées. Je ne sais quelle dépression a pesé sur elles et leur enlève toutes les grâces de la jeune fille. Elles traversent cette période que les mères ont appelé « l’âge ingrat. » Elles ne sont plus des enfans, elles ne sont pas encore des femmes ; leur être intermédiaire, hésitant, nu point de charme et n’offre rien qui ne soit déplaisant.

Le costume ne les embellit pas ; il est d’une simplicité extrême,