Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ceux pour qui la pensée est une fatigue et la parole un effort. Je lui demandai : « Avez-vous des enfans ? » Elle me répondit : « J’en ai eu huit ; il m’en reste cinq. — Vont-ils à l’école ? » Un sourire dérida sa face terreuse, et elle me dit : « lis n’y vont plus ; ils sont tous établis et mariés. Ils y ont été, à l’école, quand ils étaient petits ; les dames protestantes leur ont appris ce qu’ils savent ; elles font du bien ici et on les aime. » Je m’en allai. Au moment de franchir le seuil de la cité, je me suis retourné : le mari et la femme s’étaient remis à fouir dans un monceau de chiffons. En traversant une sorte de cour où le pied glisse sur la terre humide, près d’une vieille voiture de saltimbanque qui sert de logis à une famille, j’ai avisé un marmot de trois ou quatre ans, à peine vêtu, le ventre ballonné par la mauvaise nourriture et chaussé de brodequins de femme dix fois trop grands pour lui ; il se gratte énergiquement la tête et regarde avec envie vers cinq ou six enfans déguenillés, réunis dans un coin, qui jouent à la pochette à l’aide de petits cailloux remplaçant les billes, et qui semblent avoir oublié que l’instruction est obligatoire. Cinq minutes après, j’arrivais rue de la Providence et j’entrais dans les écoles protestantes.

L’emplacement est vaste, les constructions y ont de l’espace, les préaux de récréation n’y manquent pas d’ampleur, partout l’air circule avec la chaleur et la clarté ; un terrain encore inoccupé a reçu de jeunes plants et se prépare à devenir un jardin. Autant la primitive école de la cité du Soleil était mal commode et d’aspect lugubre, autant celle-ci est large, gaie et toute prête à s’étendre, s’il en est besoin. Elle est connue dans le quartier, presque célèbre, et l’on y vient de toutes parts ; non-seulement les chiffonniers y envoient leurs enfans, mais les employés du chemin de fer de l’Ouest, les égoutiers, assez nombreux dans cette partie de Clichy, les petits industriels et quelques minces bourgeois, qui estiment que l’idée de Dieu est trop malmenée dans les écoles municipales. Aux classes primaires de la rue de la Providence, le protestantisme n’est point exclusif ; il admet tous les enfans qui se présentent, sans distinction de secte. Le cinquième des enfans, à peine, appartient à la réforme ; la masse est catholique, mêlée de quelques juifs : tous sont indistinctement soignés et choyés. La salle d’asile, pour les fillettes et les garçonnets de quatre à six ans, compte 220 inscriptions, qui équivalent à 180 présences ; la classe des petites filles de sept à dix ans instruit 80 élèves ; la classe des grandes de dix à quatorze ans en contient 60 ; la classe exclusivement réservée aux garçons est de 60 écoliers. Ce sont là des chiffres forts, comme l’on dit ; il convient de les diminuer environ d’un sixième, si l’on veut avoir un total rigoureusement exact. En effet,