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de hutte en hutte, bataillant avec les parens, leur expliquant à sa manière les bienfaits de ce qu’elle nommait emphatiquement la science. Connue de la tribu du crochet, entrant familièrement dans les masures, tutoyant tout le monde, douée de cette sorte d’éloquence populaire qui éveille l’émotion, elle recrutait pour l’école et y menait les enfans qui se culbutaient sur les tas de chiffons ; elle fut la bonne ouvrière de la première heure, et a laissé parmi les dames protestantes un souvenir plein de gratitude. Elle y allait de bon cœur, comme l’on dit, ne ménageait point son temps, et, tout le jour, trottinait sur ses vieilles jambes pour aller distribuer ses encouragemens et ses exhortations parmi ceux qui portent « le cachemire d’osier. » L’école du dimanche ne suffisait plus, les élèves étaient nombreux, et l’on comprenait qu’il serait d’un intérêt supérieur de pouvoir leur faire la classe pendant la semaine et d’accélérer de la sorte leur dégrossissement à peine ébauché. On voulut agir dans le milieu même que l’on tentait d’éclairer, et ce fut à la cité même du Soleil qu’on loua une hutte, puis une seconde, puis une troisième ; on abattit les cloisons, et l’on eut ainsi à sa disposition un local qui n’avait rien de luxueux, à peine muni du strict nécessaire, mais où, du moins, l’on pouvait grouper, garder, instruire tous les enfans que les parens ne refusaient plus à l’alphabet. Mme Pâris était heureuse, et Mme Adjutor continuait ses voyages de découverte à la recherche des bambins qui galopaient dans les terrains vagues et ne rentraient au logis qu’à l’heure de « la soupe. »

Ce n’est point avec ses ressources fort restreintes, et qu’alimentait seul un travail assidu, que Mme Pâris eût pu subvenir aux frais de la location et de l’installation de l’école. Elle s’adressa aux dames protestantes, dont elle avait écouté la parole ; elle leur offrit une bonne fortune de charité que l’on s’empressa de ne point laisser échapper. La dépense fut approuvée, et l’on y pourvut immédiatement. On fit mieux : on alla visiter la cité du Soleil. L’impression dut être vive, car le disparate entre les milieux était excessif ; sans transition, on passait d’une extrémité sociale à l’autre, et le contraste était navrant. On fut ému jusque dans les fibres profondes, et, comme des navigateurs heureux de mettre le pied sur une terre encore ignorée, on tressaillit de joie en découvrant ce monde où la charité pourrait s’exercer dans toute son étendue. Pendant que Mme Pâris conservait sous sa haute direction les enfans que des maîtres instruisaient à l’école, les dames protestantes se préoccupèrent des mères des élèves. Une fois par semaine, elles les réunirent, travaillant en commun à raccommoder les nippes déguenillées, causant, faisant des lectures et lâchant de jeter quelques