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— où vit encore, — un groupe de chiffonniers, honnêtes gens, mais tellement absorbés par leur infime labeur, qu’ils n’ont point le temps matériel de surveiller leurs enfans. Ceux-ci s’élevaient au hasard, abandonnés pendant la nuit, parce que les parens, hotte à l’épaule et crochet en main, faisaient leur tournée dans les rues ; délaissés pendant le jour, parce qu’ils étaient trop jeunes encore pour participer au classement des détritus récoltés au long des trottoirs. Mme Pâris était très affirmative, car elle était convaincue : « C’est là qu’il faut aller, si l’on veut faire le bien, un bien durable qui, en modifiant l’enfant, peut donner à l’homme des destinées meilleures ; c’est dans les huttes souillées, dans les cours encombrées de chiffons, dans les ruelles gluantes qu’il convient de se mettre en quête, afin d’y découvrir, d’y ramasser des enfans demi-sauvages, sordides et bataillards dont on fera les élèves d’une école gratuite. Dans cette école, on leur enseignera qu’il existe un Dieu, et que, sous peine de commettre un crime vis-à-vis de soi-même, toute créature humaine doit s’instruire, faire fructifier son intelligence, et apprendre à être utile à ses semblables. »

Seule, elle entreprit l’œuvre qu’elle entrevoyait à travers sa charité ; mais sa vie était occupée, celle de son mari était laborieuse ; le travail exigeait l’emploi de toute la semaine ; restait un seul jour de loisir, le dimanche : on le consacra aux petits malheureux. Il était difficile de les réunir et de leur donner quelques rudimens d’instruction, car, sans y mettre trop de mauvais vouloir, les parens témoignaient, à cet égard, une indifférence complète. — Lire, écrire, à quoi bon ? ça ne sert à rien. — Une femme à laquelle on parlait de Dieu, pendant qu’elle faisait le tri de ses chiffons, montra le soleil et répondit : « Dieu ? le voilà ; il n’y en a pas d’autre ! » Sur de tels esprits sans croyances, sur ces pauvres êtres absorbés par la nécessité de se défendre contre la faim, il était mal aisé d’agir ; nulle conviction ne semblait pouvoir les pénétrer. En présence des obstacles, les grands cœurs ne reculent pas et redoublent de zèle. Mme Paris, que son mari aidait avec ferveur, insistait, caressait, faisait les menus cadeaux que lui permettait la modestie de sa position, et réussit à vaincre quelques résistances. Les plus récalcitrans la voyaient si empressée au bien et si oublieuse d’elle-même qu’ils comprirent que leur intérêt était de s’abandonner à elle. Afin de lui faire honneur, une mère déshabilla son garçon, âgé de sept ans, l’aspergea d’un seau d’eau, car il devait être propre pour parler à « la dame. » L’ablution trempa l’enfant, mais ne le nettoya guère. Peut-être eût-elle échoué dans ses tentatives, si une vieille chiffonnière, qui s’appelait Mme Adjutor, — un nom prédestiné, — ne s’était passionnée pour ses efforts et ne s’y était associée. Elle allait