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Elles aussi, elles sont uniformément vêtues de cotonnade bleuâtre, et ce n’est point la coupe de leurs robes qui leur inspirera de la coquetterie ; comme de jeunes sachettes, elles portent une façon de blouse qui dissimule les formes ; les manches, serrées aux poignets, alourdissent les mains ; les cheveux, coupés à hauteur d’oreille, ne se prêtent à aucun artifice de coiffure. Je les ai attentivement regardées ; nulle d’entre elles ne m’a paru jolie, et dans toutes j’ai cru reconnaître quelque chose de lourd et de rudimentaire qui pourrait appartenir à des êtres inachevés. Les scories les encombrent ; pourra-t-on les en nettoyer ? Là encore, comme partout, comme toujours, je retrouve cette proportion que j’ai déjà signalée ; on dirait vraiment qu’elle est inhérente à la créature humaine sur laquelle elle pèse comme une sorte de fatalité. Dans un document relatif à la maison de la rue de Reuilly et signé par le pasteur Louis Valette, on peut lire : « Un tiers des résultats moraux doivent être enregistrés comme excellens ; un tiers comme offrant de bonnes garanties, mais sujets cependant à péricliter ; un tiers comme nuls. » C’est ce que nous avons trouvé à l’école industrielle, c’est ce que j’ai constaté dans toutes les maisons d’amendement et de relèvement où j’ai regardé. Un tiers, ce chiffre n’est pas à dédaigner ; ramasser des filles perdues et en sauver 33 pour 100, c’est faire œuvre méritoire. Le résumé statistique d’une expérience décennale permettra de fournir à cet égard un renseignement précis. Sur quatre-vingt-dix-sept jeunes filles sorties de la retenue pendant le cours de dix années, trois sont décédées, trois sont internées dans des asiles d’aliénés, treize sont retournées à leur vomissement, trois ont une conduite qui fait naître des appréhensions, quarante-quatre ont disparu et l’on ne sait rien d’elles ; trente et une sont rentrées dans le bien et leur attitude fait augurer qu’elles n’en sortiront plus.

Les défauts qui dominent chez ces malheureuses sont ceux que l’on rencontre chez la plupart des criminels : la violence et l’apathie. La première engendre l’initiative, la seconde subit les influences qui déterminent la complicité ; toutes les deux créent le péril et sont énergiquement combattues par les diaconesses, dont la surveillance, toujours en alerte, a déjoué plus d’un petit complot et surpris des correspondances clandestines. Parfois, — et le cas n’est pas rare, — la perversion n’est pas très consciente, car elle est la conséquence de troubles nerveux qui dominent les facultés de l’esprit. La brutalité des mouvemens, l’incohérence des paroles ne laissent aucun doute ; on est en présence d’un accident pathologique qui réclame l’intervention de la science aliéniste, et l’asile de Sainte-Anne reçoit la jeune détenue pour laquelle la maison des diaconesses n’est plus faite ; elle ne relève plus que de la thérapeutique,