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la salle d’asile, qui a abandonné son ancienne et excellente dénomination pour prendre celle d’école maternelle. Cette école est mixte ou plutôt mélangée : aux enfans qu’on y amène, on ne demande point d’acte de baptême ; sont-ils juifs ou catholiques, sont-ils protestans réformés, méthodistes, luthériens ou calvinistes, sont-ils issus de déistes, de panthéistes ou d’athées, on ne s’en inquiète pas ; ils ont quatre ans sonnés, ils n’ont point encore sept ans, on les accueille, on les débarbouille, on leur fait chanter en chœur des chansons dont ils écorchent les airs, on les initie aux premiers élémens de l’instruction, et l’on s’efforce de les amuser, tout en leur enseignant quelques notions utiles. Pendant que j’étais là, ils sont rentrés en classe, marquant le pas, braillant à tue-tête un refrain de circonstance ; ils ont gravi les gradins, en cadence, comme des soldats de Lilliput bien dressés, et ils ont pris place, les garçonnets d’un côté, les fillettes de l’autre ; les messieurs m’ont adressé de la main droite un salut majestueux, les demoiselles m’ont fait une belle révérence, tout le monde s’est assis, et l’on n’a plus entendu que le bruit des petits nez qui reniflaient. Ces bambins sont les enfans du quartier ; j’ai été frappé de leur bonne tenue et de leur propreté : je me doute que les diaconesses y sont pour quelque chose et que le savon protestant joue un grand rôle en tout ceci. À cet égard, les œuvres catholiques ne peuvent soutenir la comparaison avec les œuvres protestantes ; les unes dédaignent un peu trop la « guenille » humaine et se mettraient volontiers sous l’invocation de saint Labre ; les autres en prennent soin et croient que la pureté extérieure est un emblème de moralité.

Parmi les petites filles, il en est de charmantes, roses, blanches, bouclées, avec de beaux regards étonnés et des gestes dont la grâce inconsciente est extraordinaire. Elles sont moins commodes à mener que les garçons ; on trouve en elles, comme un produit même de la nature, je ne sais quoi de rusé, d’agité, de peu reconnaissant que l’on ne rencontre pas chez leurs petits compagnons, qui ont parfois des accès de violence auxquels succèdent toujours des retours de bon cœur dont il est difficile de n’être pas touché. Les unes et les autres vivent, du reste, en bonne harmonie ; on se gourme bien un peu, quelquefois, pendant les récréations, mais cela ne tire point à conséquence ; le garçonnet, fier de son sexe et sachant qu’un jour il aura barbe au menton, ne dissimule guère le dédain qu’il professe pour les petites filles, qu’il considérerait sans peine comme des créatures d’essence inférieure ; aussi l’on a imaginé pour « les messieurs » une punition redoutable. Quand un de ces marmots s’est montré récalcitrant, grossier ou paresseux, et que l’on juge qu’il est urgent de faire un exemple, on lui déclare qu’il n’est plus digne de siéger