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et en qui de bons juges saluaient déjà le premier penseur de son temps. Il les accepta avec empressement; il ne méprisait rien, il s’intéressait à tout ce qu’il faisait. Précepteur, journaliste ou proviseur de gymnase, il remplit toujours avec une étonnante probité de conscience les plus humbles devoirs de sa charge, et ce cheval de race, attelé à un tombereau, ne rua jamais entre ses brancards. Avec le temps, il devint roi et pontife à Berlin, et Cousin lui écrivait en 1825 : « Votre âme est en paix, Hegel; la mienne est souffrante... Mais je n’oublie pas que je ne suis pas avec vous, seul, la nuit, sur votre canapé, et ce n’est pas à trois cents lieues de distance que nous pouvons causer intimement. Le chagrin s’acharne sur moi; il n’aura pas affaire à un lâche. » Hegel avait le droit de lui répondre, le 5 avril 1826 : « j’ai cru remarquer du sombre dans une de vos lettres, et je ne m’en suis pas étonné. Si vous opposez à votre tristesse la paix de mon âme, j’avoue que j’en possède peut-être plus que vous; mais n’oubliez pas que vous êtes plus jeune et, par conséquent, pas encore aussi endurci dans l’habitude des renoncemens. »

Il eût mieux passé son temps à Nuremberg, si on l’avait mis à la tête d’un établissement prospère et florissant; mais on l’avait chargé de transformer en lycée moderne un vieux collège gothique, et, sans lui accorder les ressources nécessaires, on s’en remettait à lui du soin de monter la machine et de la faire aller. La Bavière venait d’entrer dans la confédération du Rhin, et il y avait à Paris un terrible homme, qui exigeait que partout on se renouvelât, on se rajeunît, on se réveillât : comme une bise de mars, il soufflait sur des eaux croupissantes, qui ne demandaient qu’à dormir. Pour complaire à ce maître impérieux, occupé d’organiser le monde à sa façon, on essayait d’organiser beaucoup de choses; c’était le mot à la mode, et il y avait à Nuremberg un chapelier qui avait inventé un nouveau genre de coiffure, qu’il appelait les chapeaux à l’organisation, sur quoi Hegel remarquait qu’il aurait bien dû se charger aussi d’organiser les têtes.

La réforme de l’instruction publique, qu’on venait de décréter à Munich pour avoir l’air de faire quelque chose, avait le caractère d’une improvisation hâtive, et le lycée de Nuremberg avait poussé en une nuit comme un champignon. On avait des professeurs et même des élèves; mais on n’avait pas de locaux convenables et les fonds manquaient. Point de rideaux ni de volets dans les salles de classe, où le soleil aveuglait tour à tour le berger et ses moutons ; ce qui était plus grave, point de cabinets d’aisance : « Pour l’amour de Dieu, écrivait le nouveau recteur à Niethammer, donnez-nous deux cabinets ; mais ne les décrétez pas, faites-les. Jusque-là, j’en suis réduit à demander aux parens qui m’amènent leurs enfans s’ils leur ont appris à se passer de ce genre d’institution. C’est une branche de l’enseignement