Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais il est arrivé à être synonyme de machine et d’instrument. Ceci me rappelle un vocable allemand dont l’histoire n’est pas moins curieuse. Le terme courant pour signifier la guerre en allemand, c’est Krieg. Mais il n’est pas très ancien en ce sens : il y a trois siècles, il signifiait encore « contention, effort. » Par une curieuse bifurcation, qui a lieu aux environs du XVe siècle, il a ensuite désigné, d’une part, une machine propre à monter des poids ou à lancer des pierres ; d’autre part, il est devenu le terme habituel pour signifier la guerre, et il a peu à peu remplacé en cette qualité les anciens mots tels que Kampf et Streit. Quant à l’autre sens, celui de machine, il a presque disparu de la langue allemande, quoiqu’il ait laissé après lui le verbe kriegen, « obtenir avec effort, recevoir ; » mais il a fait son chemin en compagnie de l’objet qu’il désigne, et c’est le vieux mot allemand que nous employons probablement quand nous parlons de l’instrument appelé cric.


II.

La diversité du milieu social n’est pas la seule cause qui contribue à l’accroissement et au renouvellement du vocabulaire. Une autre cause, c’est le besoin que nous portons en nous de représenter et de peindre ce que nous pensons et ce que nous sentons. Nous voulons parler de la métaphore. Les mots souvent employés cessent de faire impression sur l’imagination. On ne peut pas dire qu’ils s’usent ; si le seul office du langage était de parler à l’intelligence, les mots les plus ordinaires seraient les meilleurs : la nomenclature de l’algèbre ne change pas. Mais le langage ne s’adresse pas seulement à la raison : il veut émouvoir, il veut persuader, il veut plaire. Aussi voyons-nous, pour des choses vieilles comme le monde, naître des images nouvelles, sorties on ne sait d’où, quelquefois de la tête d’un grand écrivain, plus souvent de celle d’un inconnu ; si les images sont justes et pittoresques, elles trouvent accueil et se font adopter. Employées dans le principe à titre de figures, elles peuvent devenir à la longue le nom même de la chose.

Ce chapitre de la métaphore est infini. Il n’est objet véritable ou imaginaire, il n’est rapport réel ou ressemblance fugitive qui n’ait fourni son contingent ; les traités de rhétorique ne contiennent tropes si hardis que le langage n’emploie tous les jours comme la chose du monde la plus simple. Les exemples sont si nombreux que la seule difficulté est de choisir.

En tout temps, le vocabulaire maritime paraît avoir offert un attrait