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immobilité, l’abri des contagions révolutionnaires; mais il ne pouvait préserver l’Autriche qu’en comprimant les agitations autour d’elle, dans les états voisins, et il ne pouvait réussir dans son œuvre de police supérieure qu’en restant directement ou indirectement maître de l’Allemagne. C’est la clé de toute la politique de M. de Metternich, d’une politique qui ne se dévoilait et ne s’accentuait que par degré, par les luttes mêmes qu’elle allait avoir à soutenir.

L’homme était fait pour la politique. M. de Metternich ne se hâtait pas d’abord. Il passait les premiers temps de la paix à se remettre des terribles années qu’on venait de traverser, à régler sans bruit quelques questions territoriales ou intérieures[1], et à se complaire aussi dans des succès qui flattaient sa vanité, qui faisaient de lui un des arbitres de l’Europe. Il semblait surtout occupé de l’Italie, où l’Autriche venait de reprendre une grande situation qu’elle avait à fortifier, qu’elle méditait déjà d’étendre. Il était en 1816, en 1817, au-delà des Alpes, visitant Milan et Venise, Ferrare et Florence, Lucques et Pise, en attendant d’aller avec l’empereur François lui-même à Rome et à Naples, voyageant en touriste charmé et aussi en politique habile à faire sentir la suzeraineté impériale, à rallier autour de l’Autriche ce qu’il appelait le « bon parti[2]; » mais, en visitant l’Italie, il ne détournait pas son regard de l’Allemagne, où déjà commençaient à se produire les mouvemens constitutionnels, les agitations de la presse et des universités. C’était là pour lui l’ennemi, qu’il surveillait, qu’il s’effrayait bientôt de voir grandir, ennemi d’autant plus dangereux, en effet, qu’il était dans la place, au cœur même de la confédération, jusque dans les conseils des gouvernemens et qu’il avait ses alliés au dehors. La politique autrichienne, avant que trois années fussent écoulées, se trouvait en face de cette agitation constitutionnelle et révolutionnaire qui avait gagné, qui devenait une saisissante et redoutable

  1. Il négociai! Surtout à Munich le traité du 14 avril 1816, par lequel l’Autriche rentrait en possession des parties de l’innviertel, du duché de Salzburg et du Tyrol, qui lui avaient été enlevées en 1809, au profit de la Bavière. La Bavière, après avoir résisté, était obligée de céder.
  2. Il écrivait de Florence, au mois de juin 1817 : «... Si je pouvais concevoir quelque vanité de ce que le ciel m’a aidé à faire dans les dernières années, j’aurais droit de la puiser dans le rôle que je joue dans cette intéressante partie de l’Europe. Le souverain de toute l’Italie ne pourrait pas être accueilli comme je le suis. Tout le bon partie — Et il est immense, — se serre autour de moi ; il m’accorde une confiance entière et n’attend son salut que de moi. Les jacobins se cachent et me regardent comme une verge qui les menace... » Avec M. de Metternich, il faut s’habituer à ce ton d’infatuation, qui est une partie de son caractère. Le journal de son voyage en Italie en est plein. (Mémoires, t. III, p. 27.)