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Cette sorte de lutte, ou, comme on l’appelle en langage darwinien, de concurrence vitale, est particulièrement frappante quand les deux concurrens sont, comme dans le dernier exemple, des enfans de même souche. Cette parenté d’origine ne change d’ailleurs rien au fond des choses.

Dans nos provinces du centre, vers le XVIe siècle, l’r placé entre deux voyelles prit le son d’un s ou d’un z. C’est ainsi que le latin Oratorium, qui a donné de nombreux noms de lieux, a fait Ozoir en Eure-et-Loir, Ouzouer dans le Loiret. Le même accident de prononciation détermina le changement de chaire (cathedra) en chaise. Commines, au xv* siècle, disait encore : « Ladite demoiselle était eu sa chaire et le duc de Clèves à côté d’elle. » La forme moderne ayant prévalu, l’ancien vocable a dû battre en retraite, ne se maintenant que pour désigner le siège du professeur ou du prédicateur.

Tout mot nouveau introduit dans la langue y cause une perturbation analogue à celle d’un être nouveau introduit dans le monde physique ou social. Il faut quelque temps pour que les choses s’accommodent et se tassent. D’abord l’esprit hésite entre les deux termes : c’est le commencement d’une période de fluctuation. Quand, pour marquer la pluralité, l’on s’habitua, au XVe siècle, à employer la périphrase beau coup, l’ancien adjectif moult ne disparut point incontinent, mais il commença de vieillir. Puis, après toute sorte d’incertitudes et de contradictions, l’un des deux rivaux prend décidément l’avantage sur l’autre, distance son adversaire, le réduit à un petit nombre d’emplois, quand il ne l’efface pas absolument. En exposant ces faits, voici que nous tombons, à notre tour, dans le langage figuré que nous reprochions à M. Darmesteter, tant il s’offre naturellement à l’esprit. Mais tout le monde comprend bien qu’il est question de simples actes de notre esprit : quand, pour une raison ou pour une autre, nous avons commencé d’adopter un terme nouveau, nous le gravons peu à peu dans notre mémoire, nous le rendons familier à nos organes, nous le faisons passer des régions réfléchies dans les régions spontanées de notre intelligence, de sorte qu’il en est de ce terme nouveau comme d’un geste qui, par la répétition, nous devient propre, et finit à la longue par faire partie de notre personne.

À vrai dire, l’acquisition d’un mot nouveau, soit qu’il nous vienne de quelque idiome étranger, soit qu’il ait été formé par l’association de deux mots ou qu’il sorte tout à coup d’un coin ignoré de notre société, est chose relativement rare. Ce qui est infiniment plus fréquent, c’est l’application d’un mot déjà en usage à une idée nouvelle. Là réside, en réalité, le secret du renouvellement et de l’accroissement de nos langues. Il faut remarquer, en effet, que l’addition