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nouveau il accable de ses dédains professeurs, avocats, journalistes, idéologues. Il oppose à leur prétention de participer au gouvernement les droits sacrés de la couronne, à leurs théories les faits, à leurs critiques sa gloire, à leur inexpérience son œuvre. C’est la lutte de l’homme d’état de profession contre le politicien de rencontre, de l’homme d’action contre les hommes de mots. Je suis sûr que j’ai vu la plus parfaite expression qu’un visage humain puisse donner au mépris, un jour que j’ai regardé le chancelier écoutant une harangue de M. le professeur Virchow : l’homme qui a étudié l’anatomie des peuples et pratiqué la vivisection sur l’Europe ne croyait évidemment pas que le bon docteur progressiste eût le droit de lui faire la leçon, au sortir d’un laboratoire où il venait de disséquer une grenouille.

M. de Bismarck est un politique du XVIe ou du XVIIe siècle, égaré dans ce temps de discussions et de polémiques. Nul doute que cette incapacité de s’accommoder aux nécessités de la vie publique ne soit une faiblesse chez cet homme fort. S’il avait daigné être aimable et conciliant, s’il avait mis au service de sa politique le charme et la séduction de son esprit, s’il avait caressé les opposans de sa fine main au lieu de les faire cabrer sous les coups de sa cravache, il aurait épargné à lui-même la fatigue des conflits et à ses successeurs les revanches qu’il leur faudra subir ; mais le chancelier ne veut entendre à aucune concession, et, plutôt que de permettre au Reichstag de se tromper lui-même par des apparences, il le rappelle durement à la modestie de son rôle. Il fait semblant de ne pas comprendre ses secrets désirs. Un jour, il raillait avec sa familiarité superbe le parlement qui rejetait tous ses projets et n’en proposait aucun : « Que voulez-vous donc? dit-il en substance aux députés. Vous ressemblez à des enfans qui jouent à cacher un objet qu’un des joueurs doit chercher ; mais, au moins, quand celui-ci s’approche de la cachette, on l’avertit par un air de musique. Vous, vous ne faites jamais de musique.» — M. de Bismarck sait bien ce que cache le Reichstag, — c’est-à-dire l’envie d’être un vrai parlement, — mais il tourne obstinément le dos à la cachette, et vraiment les députés n’ont pas de raison pour faire de la musique. Non-seulement il enferme le Reichstag sur l’étroit terrain où l’a bloqué la constitution, mais il le lui dispute. En somme, les représentans de l’Allemagne n’ont que deux droits politiques : ils fixent chaque année le chiffre du contingent, et aucun impôt nouveau ne peut être établi sans leur aveu. Le chancelier leur demande d’accroître par des monopoles les ressources permanentes dont il dispose, et d’affranchir ainsi le gouvernement de tout contrôle. Il les somme de renoncer pour une période septennale à leur prérogative