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il en est bien peu qui tiennent au sol par des racines profondes et qu’on ne puisse en arracher par un effort très léger. En 1789, les principautés germaniques se comptaient par centaines, et cette multiplicité des dynasties ne correspondait pas assurément aux divisions naturelles du pays : elle les effaçait plutôt sous un fouillis. Depuis, le tremblement de terre qui a secoué la vieille Allemagne a englouti le plus grand nombre de ces petits personnages ; ceux qui demeurent ne sont pas solides.

Peu de personnes en Europe savent les noms des confédérés actuels du roi de Prusse. Il suffirait de les énumérer pour faire comprendre la fragilité de ces débris de l’ancienne polyarchie féodale. Est-ce qu’il y aurait, par hasard, un patriotisme d’Oldenbourg ou de Saxe-Meiningen, un esprit national de Saxe-Altenbourg ou de Saxe-Cobourg-Gotha? Et l’onde qui engloutirait Schwarzbourg-Rudolstadt avec Schwarzbourg-Sondershausen, Reuss branche aînée avec Reuss branche cadette, Schaumbourg-Lippe avec Lippe tout court, demeurerait-elle l’espace d’une seconde ridée à la surface ? Les principicules ne peuvent prêter aucune assistance aux quelques princes de taille plus respectable qui demeurent dans la confédération. Ils les compromettent plutôt par le ridicule de leur situation. Ces princes eux-mêmes n’ont pas qualité pour représenter les vieilles régions. Le royaume de Saxe n’a rien de commun avec l’ancienne Saxe ; Hesse-Darmstadt aurait pu disparaître en 1866 aussi bien que Hesse-Cassel. Bade et Wurtemberg ne sont que des fragmens de la Souabe. La seule Bavière représente aujourd’hui assez exactement un des territoires ethnographiques d’autrefois. Aussi est-elle le plus particulariste des pays allemands, et celui qui s’est réservé le plus grand nombre de droits spéciaux. Son roi rêvait naguère d’une Allemagne enchantée : les Niebelungen étaient peintes à fresques dans son palais de Munich, mais il détestait cette ville trop moderne, où les nationaux-libéraux ricanaient devant le colosse de la Bavaria. Il aimait les sites solitaires, les châteaux dans la montagne, au bord des lacs où il croyait voir nager le cygne, le « cher cygne » de Lohengrin ; mais il s’est noyé dans un de ces lacs, et le prince qui tient aujourd’hui sa place a fait amende honorable des folies du pauvre Louis. Il a pris son rang dans le cortège impérial, car ces souverains moyens ou petits ne sont plus qu’un cortège. Combien de temps encore durera la parade? C’est bien de parade, en effet, qu’il s’agit. Ces princes ne servent de rien pendant la paix. Ils ne servent de rien pendant la guerre. M. de Moltke n’emploie que ceux qui sont vraiment capables de servir, et il ne tolère point dans l’armée des princes qui n’y sauraient jouer que le rôle de « flâneurs des batailles. » La question des princes est