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prêts à voler au secours de celui qui serait attaqué et jamais disposés à seconder celui qui voudrait tenter au dehors la fortune des grandes aventures. En un mot, il fallait l’armer pour la défense et la désarmer pour l’attaque. » L’écrivain montre ensuite comment la complication du mécanisme de la confédération, la rivalité de la Prusse et de l’Autriche, la politique des petits états placés entre les deux colosses, la lenteur à se résoudre et la difficulté de passer de la résolution à l’acte, répondaient aux vœux des législateurs de 1815. « Tandis que l’Allemagne opère sur elle-même ce travail de rotation, elle évite les entraînemens du dehors; tandis qu’elle s’épuise à déterminer les modes de son action, sans jamais se décider à agir, les passions s’apaisent, les préjugés se dissipent, les droits se dégainent des prétentions, les belligérans continuent de négocier par le canal de sa diplomatie; l’Allemagne, au besoin, négocie pour eux. On se bat et elle discute encore; chacun s’abandonne aux hasards de la force, l’Allemagne continue de penser et elle empêche que la notion du droit ne soit abolie. Ce rôle a sa grandeur. »

Certes ce rôle avait sa grandeur, et l’Allemagne, qui le remplissait, n’était pas une puissance méprisable. De 1815 à 1866, personne n’a osé l’attaquer. En 1859, l’empereur Napoléon III s’est arrêté en Italie dès qu’elle a fait mine de se mettre en mouvement. En 1864, quand elle a décidé l’exécution contre le Danemark, la France, l’Angleterre, la Russie, n’ont pas usé du droit qu’elles avaient d’intervenir. Comme au temps de Commines, tout le monde savait en Europe que c’était chose puissante que « ces Allemagnes.» Mais quel changement aujourd’hui 1 l’Allemagne s’est levée de son séant et elle reste debout, la main sur l’épée, comme la Germania du Niederwald. Le régime militaire exceptionnel de la Prusse, pour qui la guerre était une industrie de première nécessité, une « industrie nationale, » selon le mot de Mirabeau, est devenu le régime normal de la patrie allemande. Du même coup, l’aspect de l’Europe a été transformé. On pouvait jadis, sur chacune des frontières de la confédération, vaquer en sécurité aux œuvres pacifiques. L’esprit militaire s’apaisait. Les découvertes de la science, les nouvelles doctrines commerciales, l’universel laisser-passer faisaient croire aux humanitaires que la date approchait de la réconciliation des hommes. Aujourd’hui, les frontières sont crénelées ; les chemins de fer sont des outils de guerre; la rapidité des communications est employée à la concentration des troupes ; les sciences sont requises pour le service de la destruction, même l’histoire naturelle, qui démontre les droits des forts et les torts des faibles. Point de nation qui ne s’apprête à tuer pour n’être