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qui n’est désormais que le « grand vaincu, » mais comme l’inspirateur, comme le régulateur de l’ordre sorti des convulsions de la guerre.

Qu’est-ce que M. de Metternich dans cette ère nouvelle qui s’ouvre avec le congrès de Vienne ? Ce n’est pas seulement un ministre comme lord Castlereagh ou Canning à Londres, comme Capo d’Istria, un des favoris d’Alexandre, ou Nesselrode à Saint-Pétersbourg, comme le prince de Hardenberg à Berlin ou le duc de Richelieu à Paris. A peine dégagé du tumultueux conflit des armes, le chancelier autrichien entre dans ce qu’on pourrait appeler son règne diplomatique, dans ce règne de trente-trois années où, plus que tout autre, il représente l’esprit et la tradition de 1815. C’est un personnage supérieur, à l’ascendant à peu près accepté, enlaçant l’Allemagne et l’Europe de son influence, redouté des peuples, écouté dans les cours, élevant à la hauteur d’un système l’équilibre dans l’immobilité et le repos. « Adversaire des principes de la révolution, de la guerre et de la conquête, à l’aide desquels la France avait bouleversé le monde, a dit l’historien allemand Gervinus, Metternich arbora alors le principe de la contre-révolution, de la paix, de la conservation, comme le drapeau de la politique universelle de l’avenir... » C’est une phase nouvelle de l’histoire où M. de Metternich offre ce curieux spectacle d’un politique qui met une sorte de génie à lutter contre les élémens conjurés de son temps, à opposer des expédiens éphémères à la force des choses, — ou, si l’on veut, selon le mot de l’éloquente Rachel Varnhagen, à s’agiter dans la « profondeur infinie du vide. »


I.

Suivons dans sa carrière le plus mondain, le plus habile, ou le plus heureux des politiques.

Au lendemain de la formidable crise qui avait mis le monde sous les armes et que la diplomatie venait de clore par une distribution de butin, accompagnée d’une réorganisation de l’Europe, le sentiment le plus universel, le plus profond dans tous les pays, était, à n’en pas douter, le sentiment de la paix reconquise. Pour les uns, les traités de 1815, si durs à l’orgueil français, étaient une délivrance, la fin de la domination étrangère ; pour les autres, ils étaient tout simplement la fin des luttes sanglantes qui avaient épuisé une génération. Pour tous, le premier mouvement était de saluer dans l’éclipse de l’astre napoléonien une trêve où les peuples se flattaient de retrouver le repos, où les princes et les diplomates recueillaient la