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se reproduit sans cesse, avec ces procédés d’une puissance qui menace les autres sous prétexte qu’elle se croit toujours menacée, on tient l’Europe sur un perpétuel qui-vive ; on oblige tous les pays, petits et grands, à s’armer, à se hérisser de fortifications, ne fût-ce que pour se défendre du contre-coup des conflits qui semblent toujours près d’éclater. On force les plus modestes états à subir par avance, par précaution, toutes les dépenses, tous les inconvéniens d’une guerre où ils n’ont rien à gagner, où ce qu’ils peuvent espérer de mieux, c’est de sauvegarder leur indépendance dans la tourmente.

C’est l’histoire de la Belgique elle-même, dont le parlement est occupé depuis quelques jours à discuter tout un système de nouveaux ouvrages militaires destinés à défendre les passages de la Meuse à Liège et à Namur. Jusqu’ici, la Belgique n’avait songé sérieusement qu’à la fortification d’Anvers, dont elle avait fait sa place d’armes, une sorte de grand camp retranché où elle pouvait au besoin concentrer ses forces en s’appuyant à la mer. C’était, il y a quelque vingt-cinq ou trente ans, la grande préoccupation des Belges, qui ne pensaient peut-être alors qu’à se prémunir contre l’ennemi en apparence le plus menaçant et à se créer aux bouches de l’Escaut un dernier asile où ils auraient pu attendre les secours de l’Angleterre. Malheureusement, depuis la création de la place d’Anvers, les circonstances ont singulièrement changé en Europe ; elles ont changé politiquement et militairement. La guerre qui a si violemment transformé les rapports des deux puissans voisins du territoire belge s’est accomplie, et elle a en même temps modifié la position du petit royaume. L’Allemagne, maîtresse aujourd’hui de Metz et de Strasbourg, campe avec ses forces, qu’elle peut grossir à toute heure, en Alsace-Lorraine ; elle fait face par son armée appuyée aux deux grandes citadelles. La France, démembrée, privée de ses défenses, a été réduite à se refaire une frontière assez forte pour soutenir un premier choc. Telle est la situation militaire créée par les événemens, et, devant cette situation, la Belgique elle-même en est venue à se demander si, au jour d’un conflit, les deux puissances, au lieu de se heurter de front par une frontière difficile à pénétrer, ne seraient pas tentées de reprendre le vieux chemin des invasions et des guerres, la vallée de la Meuse, sans se laisser arrêter par l’inviolabilité d’un pays neutre. C’est justement ce qui a donné naissance à ce nouveau projet de fortification de la Meuse dont le principal promoteur est un officier belge devenu un des premiers ingénieurs militaires de l’Europe, M. le général Brialmont, et que le gouvernement soutient avec énergie devant les chambres. Il s’agit, non sans doute, d’engager, de soutenir une lutta inégale, mais de fermer autant que possible le passage, soit à une armée française qui serait tentée de prendre ce chemin, le plus court et le plus direct