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qui secouent périodiquement l’Europe, en effet, est de n’être jamais finies, parce qu’elles tiennent à toute une situation. Elles ont leurs phases successives, leurs alternatives ; elles peuvent s’apaiser pour un instant, elles risquent de renaître, à la première occasion, d’un accident, d’une impatience, d’un contre-temps imprévu. On a beau s’en défendre, compter sur la puissance des intérêts qui conspirent pour la paix et, au besoin, sur la bonne volonté des hommes chargés de gouverner les peuples, on sent bien que rien n’est fini, que si la phase aiguë est passée pour le moment, la crise chronique subsiste. Elle se traduit par l’instabilité trop visible des choses, par le frémissement des esprits, par l’incertitude des rapports généraux, par cette émulation d’armemens qui gagne tous les pays, sans exclure ceux qui n’ont à défendre que leur neutralité ; elle se dévoile jusque par cet intérêt passionné qu’on met à rechercher dans les archives tout ce qui peut jeter quelque lumière sur l’origine, les péripéties et les caractères des crises semblables qui ont pu se produire, dont celle d’aujourd’hui n’est que la continuation. La guerre des divulgations et des polémiques rétrospectives se prolonge même après que le danger du moment semble passé : on fait de la politique avec de l’histoire. C’est ce qui vient d’arriver par les révélations de M. le général Le Flo, ancien ambassadeur en Russie à une autre époque, où la paix a pu être aussi en péril.

Assurément il y a une évidente analogie entre les événemens de 1875 et ceux qui se sont déroulés pendant ces derniers mois, ou plutôt c’est la même crise qui continue on se reproduit dans des conditions peu différentes, Il s’agit toujours de savoir si la guerre va décidément éclater entre la France et l’Allemagne, qui la provoquera, quelles seront d’un autre côté, en présence du redoutable conflit, les dispositions des principaux gouvernemens de l’Europe ? En d’autres termes, il s’agit de savoir comment le duel s’engagera, si la France aurait quelque allié, ai elle pourrait tout au moins compter sur l’appui indirect des puissances intéressées à ne pas laisser s’accomplir le bouleversement complet de l’équilibre ou de ce qui reste de l’équilibre européen. C’est là le fond de la situation aujourd’hui comme autrefois, et il n’en faut assurément pas plus pour donner quelque intérêt à ces polémiques de diplomatie rétrospective récemment engagées. M. le général Le Flo, qui représentait la France à Saint-Pétersbourg en 1875, qui a tout vu de près, a cru devoir jeter dans les débats du jour son témoignage sur ce qui s’est passé il y a douze ans, sur les efforts de l’Allemagne pour obtenir la neutralité de la Russie, sur les dispositions tranquillisantes et amicales dont il avait reçu l’assurance de la part de l’empereur Alexandre II. Il a tout raconté ; il n’a pas seulement publié ses propres dépêches, il a livré aussi les lettres les plus